Mer argentée

« Dans la zone dans laquelle est Geronimo maintenant, c’est de l’alizé, c’est assez fort d’ailleurs, c’est bien établi, c’est assez variable en même temps mais il y a de belles poussées jusqu’à 30, 33, 34 nœuds… On tire des bords parce qu’il n’y a rien qui nous emmène à l’équateur directement, là je pense qu’on va plonger dans le sud, on peut pas faire du gain ouest en permanence (…) On a touché du vent vraiment correct, la période de passage des Canaries a été un peu boiteuse, mais là on est rentrés dans un système où les vent sont réguliers et fournis… Ça va, ça avance très raisonnablement dans la bonne direction… Il y a des moments où ça surf bien, de temps en temps à 30 nœuds mais pas tout le temps… C’est agréable en plus il y a la lune la nuit, tout est parfait, tout est comme dans le film… Ça fait des nuits vraiment sympas, ça fait des nuits a glisser sous la lune, c’est brutal, joli et en même temps émotionnel, c’est ravissant quoi, entre 25 et 30 nœuds sur de la mer argentée comme ça, ça a de la gueule… »

 

Bain turc

Décor :
« On a fait une descente pas mauvaise. C’est bien d’être dans les temps avec des conditions pas bonnes, c’est pas mal. (…) Il y a peu d’endroits au monde où l’on a ce décor avec autour de soi des grains noirs, des mers complètements plombées, sans reflet, comme si tout était éteint. Avec cette vapeur d’eau, il y a un côté bain turc assez étonnant, c’est un paysage maritime différent qui a son charme, à condition que cela ne dure pas une semaine. »
Performance :
« On n’est pas dans les clous du tout, on attend des vents d’est que l’on ne voit pas du tout venir pour l’instant. Nous sommes dans l’expectative. Il n’y a pas d’abattement mais l’enthousiasme n’est pas non plus exubérant. On devrait arriver à faire une route pas trop sordide en direction de Sainte Hélène. Nous ne sommes pas dans le bon, mais pas dans le pire non plus. Dans un tour du monde, il faut penser dans la globalité et ne pas s’énerver sur le ponctuel.»
Cheyenne :
« (…) Ce n’est pas notre préoccupation majeure aujourd’hui. Fossett a pu se faire une route sud et facile. Vous pouvez mettre 40 Fossett, cela ne change rien pour nous. On n’a besoin de rien, ni derrière, ni devant, pour nous pousser, pour faire notre métier à fond. (…) De toutes façons, nous sommes prêts à tous les combats.»

On fait du mille

« On a du vent assez correct, une mer relativement facile, on marche bien. (…) Ça allonge bien, il y a de l’air, c’est maniable, on fait du mille, on tire bien dessus. Geronimo s’est amélioré depuis l’année dernière et l’équipage aussi, on a un gain de vitesse de 5 à 7 % (…) On cherche à durer, à conserver le rythme et l’avance qu’on a sur le record. On est contents d’être devant les temps du record en ce moment. (…) On descend, on risque d’avoir un anticyclone qui nous barre la route dans un jour et demi. Demain matin on sera à 45° sud. Cela ne me plaît pas tellement à cause de la convergence. (…) Les 40èmes rugissants, c’est sans innocence. On quitte un monde normal pour arriver dans un monde qui a des réserves de beauté, d’insolites extraordinaires mais aussi de violence réelle. »


Relativité

« On a fait notre plus courte demi-journée depuis le départ, on a fait 101 milles sur la route en 12 h ! (…) J’ose pas dire la plus petite journée parce que j’ai pas osé regarder la journée entière, j’ai pas le courage. (…) Il y a des minutes qui durent une heure et des heures qui durent une minute. (…)
Les dernières 24 heures de calmes n’ont sûrement pas arrangé la moyenne mais elles ont sûrement arrangé le physique de notre équipage. On a tous dormis un peu dans des vrais sommeils bien profonds. … Aujourd’hui la mer est plate comme en baie de Quiberon par un beau dimanche de novembre, cela a permis de récupérer. (…)
Il faut jamais quitter de l’esprit que c’est un tour complet, donc ni s’esbaudir ni se navrer lorsque les choses vont pas bien, c’est une relativité. En même temps, il faut toujours se concentrer sur ce que tu fais dans l’heure pour essayer d’obtenir le maximum. L’exercice est intéressant, tu vis dans un système à longue durée mais où tu sais que chaque seconde consommée est consommée. (…) Il n’y a pas d’acquis sur ce parcours, tout ce que tu gagnes peut te filer entre les doigts en 48 heures à toute vitesse.»

Stress de brume

“… Naviguer sans visibilité dans des endroits où il y a de la glace, des growlers éventuellement et tout, c’est fatiguant, c’est très tendant nerveusement et puis psychologiquement. Parce que faut pas se tromper, donc ça demande une énorme vigilance et ça engendre des degrés de fatigue élevés. (…) Le pilotage d’un bateau de cette taille, à ces vitesses là, dans ce type de mer est un stress lourd. On sent de la fatigue, là je sens sur l’ensemble de l’équipage la fatigue. La brume, la glace tout cela ça créé une énorme tension nerveuse et cette tension nerveuse elle engendre du stress et de la fatigue. (…) La recharge en calorie elle est pas faisable, si on chauffe à l’intérieur à ce moment là, on un trop grand choc thermique entre l’intérieur et l’extérieur et quand les gens montent à la manœuvre, ils souffrent d’autant plus. Donc il faut habituer l’organisme à vivre en milieu froid.”

Archives Rivacom / Photo Yves Pouillaude

Archives Rivacom / Photos du bord Archives Rivacom / Photo Yves Pouillaude

Mille diables

Extrait du Carnet de Libération, signé Olivier de Kersauson : « De tous les côtés ça gigote, ça bouillonne. On dirait mille diables dans un bénitier…. J’en arrive à en sourire en me disant que si c’est ça le yachting, eh bien ! Je n’en ferai plus jamais. Pour être net, je ne continuerai pas huit jours comme ça. »

L’anémomètre du trimaran est rarement tombé sous les 45 nœuds durant sa 31ème journée de tentatives. À sec de toile, le bateau est propulsé par son seul mât. Les phrases deviennent courtes, les messages concis : « SURF A 29 KT SOUS MAT SEUL, VIVEMENT LE LEVER DU JOUR, OLIVIER. » Il deviet difficile de se déplacer, tout est trempé et glacial, la mer est monstrueuse avec la houle d’ouest et sept mètres de vagues de sud. Didier souffre du dos, les multiples blessures et la fatigue rendent les manœuvres dangereuses :
« MER DE MERDE BRRRRR TRES DURE JE ME DEMANDE SI ON POURRA CONTINUER LONGTEMPS DANS CES CONDITIONS DANGEREUSES. J AI LIMPRESSION QUE L HIVER EST DEJA LA LES ROTATIONS SONT TRES BRUTALES ET INAVIGABLES. A SUIVRE. OLIVIER »

Archives Rivacom / Photo Yves Pouillaude

Archives Rivacom / Photo Yves Pouillaude

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Parasol

(…) « En ce moment, c’est pas dangereux, ça n’est qu’emmerdant. L’autre jour, c’était dangereux, cette mer de sud excessivement agressive et forte, est dangereuse. Nous on est de travers à la mer, c’est ça le problème. Si on est en glisse on va très bien. Vous pouvez être en glisse avec une montagne d’eau derrière. Mais de travers, c’est toujours compliqué. »
(…)« Y’a des moments on aimerait bien faire un petit break. Un petit break avec des parasols. Le fantasme du bord aujourd’hui, c’est le parasol … Souhaitez nous de la mer plate, de la mer rangée, des vents corrects et n’oubliez pas le parasol, c’est l’élément indispensable de l’élégance nautique. »

Faut pas y aller

« Ouf … y’a pas longtemps qu’on est soulagés. On est contents d’être sortis de là oui, je te le cache pas. Oh la la qu’est-ce qu’on est allés foutre là-bas ! Trop contents d’être sortis de là, ça c’est sûr. On n’a pas beaucoup dormi tous ces derniers jours là. On a vu le bateau sortir entièrement hors de l’eau à un moment donné entre deux vagues, je te dis pas le choc à la descente. Ça n’a pas de sens, ça n’a pas de sens. On est entre Malouines et la terre, peinard. Fini le cauchemar, c’est terminé ça c’est sûr. C’est terminé. Ça, on nordit sévère je te le dis tout de suite. Il faut faire du gain ouest sur cette route en remontant le long de la côte, mais le gain ouest on le fera plus tard. On monte, on monte, on monte en latitude. On fait pas gaillard quoi, on est tous fatigués. Tu pars dans ces mers là, tu vas au tas, c’est fini. C’est beaucoup trop hostile voilà, ce parcours qu’on a fait là du sud de la Nouvelle Zélande au Horn avec que des vents de sud en mer d’hiver, faut pas y aller quoi. Faut pas aller dans ces mers là, faut pas y aller … C’est d’une hostilité incroyable. C’est de la navigation de merde, c’est vachement dangereux, c’est épuisant. Faut pas aller là, faut pas aller là à cette époque de l’année, ça c’est sûr. »

Passage du Cap Horn le 7 avril 2004. Photos du bord. Passage du Cap Horn le 7 avril 2004.
Photos du bord.

Avec des petits Lu

« On va vite, on fait route sur le sud de l’Irlande. On monte jusqu’à 51 nord pour après redescendre sur Ouessant. On est sous gennaker il y a une bonne glisse, ça va bien, le bateau est entre 23, 25, 27 nœuds. On fait une route longue, en ligne droite il reste 1329 milles et, nous, on va en faire 1500 à peu près. (…) On est contents de rentrer à l’écurie. … Y’a du monde, y’a pas de soucis là pour la manœuvre, qu’ils soient de quart ou hors quart, il y a quelque chose d’électrique à bord aujourd’hui là, on a l’impression de renaître quoi… On sait que rien n’est gagné. … Les gennakers ça va, heureusement parce que là il n’y avait plus qu’à ce suicider, à la crème de marrons avec des petits Lu. Vous prenez une boite de 15 kilos de crème de marrons, douze paquets de petits Lus bien secs et vous z’avez pas le droit de boire. C’est un suicide gastronomique assez répandu dans les sectes Nantaises. »

Dernier bord

« Ça fait un mois qu’on est tribord amure, plus personne n’a l’habitude de passer bâbord amure. Tous nos systèmes ont enregistré que tout était toujours penché vers la gauche. Le corps compense, l’organisme a besoin de plusieurs heures pour reformater tous ces systèmes. Les barreurs ont du mal à se caler, les gars ont du mal à marcher sur le pont. Les gars sont très maladroits en manœuvre. Il va falloir plusieurs heures pour que l’ensemble du bord se réadapte à ça. S’il y a de l’appréhension, c’est qu’on va plus être seuls, c’est qu’il y a sûrement le trafic et le trafic s’il y a  35 ou 40 nœuds c’est pas automatiquement facile à gérer pour nous. Comme on arrive au vent d’une côte dangereuse, qui est la ligne d’Ouessant, il faut pas avoir de pépin mécanique à ce moment-là. La satisfaction elle existera quand on aura coupé la ligne, d’ici là ce n’est que tension… »

Archives Rivacom / Photo Yves Pouillaude Archives Rivacom / Photo Yves Pouillaude