Olivier de Kersauson / Geronimo

Les tentatives de record, à l’assaut du Trophée Jules Verne, sont autant d’aventures océaniques, qui méritent d’être racontées ici.

 
Graves avaries ou retards trop importants ont souvent stoppé des capitaines courageux dans leur élan. D’autres skippers sont parvenus à boucler leur tour… Seulement pas assez vite pour battre le record alors établi.
 
Ces performances, histoires d’hommes, de femmes et de bateaux, seront retranscrites dans ces pages.
 
À bientôt !

Ellen Mac Arthur / Kingfisher II

Les tentatives de record, à l’assaut du Trophée Jules Verne, sont autant d’aventures océaniques, qui méritent d’être racontées ici.

Graves avaries ou retards trop importants ont souvent stoppé des capitaines courageux dans leur élan. D’autres skippers sont parvenus à boucler leur tour… Seulement pas assez vite pour battre le record alors établi.

Ces performances, histoires d’hommes, de femmes et de bateaux, seront retranscrites dans ces pages.

À bientôt !

Bruno Peyron / Orange

Près de dix ans après son record inaugural, éperonné par la performance d’Olivier de Kersauson en 1997, Bruno Peyron se lance à nouveau dans le contre la montre de Phileas Fogg. Treize marins, à la manœuvre du maxi catamaran Orange, ne seront pas de trop pour venir à bout de ce tour du monde. Météo impitoyable. Bateau au bord de l’explosion. Récit d’un record à l’arraché… Tout en sang-froid et ténacité.

©Photo Gilles Martin-Raget © Photo Gilles Martin-Raget

Le 2 mars 2002, jour du départ d’Orange sur le circuit du Trophée Jules Verne, rien n’augure une confortable victoire. Les douze hommes(1)(1)Gilles Chiorri, Hervé Jan, Nick Moloney, Yann Eliès, Benoît Briand, Sébastien Josse, Roan Le Goff, Jean-Baptiste Epron, Florent Chastel, Vladimir Dzaldalyndis, Yves Le Blevec, Philippe Péché.  de Bruno Peyron sont inquiets. Déjà éprouvés. La tête de mât de leur maxi catamaran s’est brisée, après trente minutes de navigation, le 14 février, lors d’un premier départ. Orange vient de passer une douzaine de jours à Vannes, aux bons soins du chantier Multiplast, qui a assuré un dépannage express.

Il ne fallait pas perdre plus de temps. Les fenêtres météo optimums sont rares pour gagner rapidement l’équateur et tenter le tour du monde par les trois caps dans les meilleures conditions. Le Grand Sud est plus navigable pendant l’été austral. En dehors de cette période – l’hiver dans l’hémisphère nord – établir un record de vitesse à la voile sous ces latitudes est improbable.

Orange, 33 mètres, est l’ex Innovation Explorer, déjà victorieux sur un parcours similaire à celui du Jules Verne. En 2001, il a conduit Loïck Peyron à la deuxième place de la course autour du monde The Race, créée par son frère ainé. Mais, à bord, même si l’on a confiance dans le bateau, chacun sait trop bien qu’il faudra le choyer. Alors qu’il dépasse la ligne de départ au large de Brest, filant 20 nœuds sous vent de nord-est, dans une mer désordonnée, les treize d’Orange gardent tous un œil sur la tête de mât.

La veille de ce second départ on a appris que Geronimo, le trimaran de Kersauson, faisait demi-tour juste après avoir franchi l’équateur. Avarie de gouvernail. L’amiral, qui voulait battre son propre record, n’a eu d’autre choix que l’abandon.

En douceur à l’équateur

Visant l’équateur, Orange maintient la cadence avec 20 nœuds de moyenne dans un vent de nord-nord est, soufflant bientôt dans l’axe arrière de sa trajectoire.
Ralenti à 80 milles (148 km) de cette première marque géographique, le maxi catamaran laisse le temps de référence Ouessant-équateur(2)(2)7 jours, 4 heures et 24 minutes à ENZA New Zealand skippé par Peter Blake et Robin Knox-Johnston en 1994.
Lorsque Orange entre dans l’Atlantique sud le matin du 10 mars, 7 jours et 22 heures après avoir franchi la ligne de départ du Trophée Jules Verne, Bruno Peyron a une pensée émue pour Peter Blake. Le skipper néo zélandais est décédé tragiquement en 2001, sous les mêmes latitudes.

Le barrage Sainte Hélène

Le 11 mars, Orange glisse le long des côtes sud-américaines et tente une sortie à l’ouest pour contourner l’anticyclone de Sainte Hélène. Mais la zone de hautes pressions remonte l’Atlantique sud, barrant la route aux marins. « L’anticyclone gonfle et gonfle encore et nous ferme la porte d’est en ouest », a prévenu Gilles Chiorri, le navigateur du bord, « on va griller nos premiers jokers sur cette véritable première épreuve… »
À 29°18 de latitude sud, les treize d’Orange espèrent alors prendre de vitesse cet avaleur de vent et le contourner dans son nord. Mais le 15 mars, Philippe Péché, qui inspecte le bateau avant de prendre son quart, aperçoit un objet brillant sur le filet : la têtière de grand-voile ! Les neuf hommes de quart sont mobilisés pour le chantier. Et, cinq heures plus tard, quand le chariot de têtière est réparé, la porte de sortie de l’anticyclone tant espérée est passée.
La seule option face au barrage Sainte Hélène, reste désormais une traversée de la dorsale. Affronter le calme en coupant, cap est-sud est, le centre des hautes pressions, avec en ligne de mire les forts vents d’ouest qui circulent par 40° Sud.

Impitoyable Indien

©Photo Gilles Martin-Raget © Photo Gilles Martin-Raget

Le 21 mars, après 18 jours 18 heures et 40 minutes de mer, dans des conditions si peu propices à l’exploit, Orange établit le temps de référence Ouessant – cap de Bonne Espérance. Il bat ainsi de 23 heures et 13 minutes seulement le record d’ENZA en 1994, avec trois jours d’avance sur Sport-Elec en 1997(3)(3)22 jours 08 heures et 55 minutes.

L’entrée dans l’Indien, par 39° sud, annonce la suite du parcours. « Nous avons eu une mer absolument pourrie cette nuit, lâche Bruno, le 22 mars, nous avons 45 nœuds de vent depuis hier soir ! » 45 nœuds (83 km/h) qui passent à 55 nœuds (102 km/h) le lendemain. Orange surfe à près de 40 nœuds. Et même à sec de toile, il continue à 20 nœuds sous mât seul !
Éric Mas, analyste de Météo Consult, résume la situation : « Derrière Orange, une vaste zone de hautes pressions qui génèrent des vents de sud. Impossible de descendre, surtout en raison de l’état désordonné de la mer. Devant, un «  mur » de dépressions dont l’évolution à la latitude d’Orange ne laisse rien présager de bon pour les prochaines 24 heures. »

Si, dès le 28 mars, le vent devient plus favorable, la mer n’est pas encore totalement orientée dans le sens de la course du bateau. « À 25 nœuds dans le clapot, Orange tape fort », raconte Peyron. Impossible de lâcher les chevaux, sous peine de faire exploser la machine.
Même bridé, le maxi catamaran flirte à nouveau avec les 500 milles (926 km) parcourus chaque jour. Mais c’est au prix d’inquiétantes avaries – explosion de deux lattes de grand-voile, délaminage de carénage de la poutre arrière et fissure de deux cloisons dans la zone d’impact des vagues – et d’un slalom géant à la recherche du système météo idéal. « Nous devons en être à notre troisième système depuis le cap de Bonne Espérance », lâche Hervé Jan, à la vacation du 30 mars.

Encore une fois, en dépit de conditions météo très « casse bateau », Orange empoche un temps de référence : Ouessant – cap Leeuwin, au sud de l’Australie, en 29 jours 07 heures et 22 minutes. Les treize de Peyron comptent un peu plus d’une journée d’avance sur le détenteur du Trophée Jules Verne(4)(4)En 1997, Olivier de Kersauson avait franchi la longitude du cap australien en 30 jours, 14 heures et 30 minutes..

Pacifique express

©Photo Gilles Martin-Raget © Photo Gilles Martin-Raget

Le 5 avril, peu après le passage de l’antiméridien(5)(5)le 180ème méridien, à l’opposé du méridien de Greenwich., par 53° sud, Orange peut infléchir sa course vers le Grand Sud. Il lui faut maintenant trouver un passage pour éviter une zone de calmes entre 50° et 60° sud. Au nord, les vents seront contraires : une méchante dépression tropicale est annoncée. Le  maxi catamaran peut passer dessous, au portant, dans des vents d’ouest forts, avec de belles vitesses favorisées par une longue houle enfin organisée.

L’ivresse retrouvée des grandes vitesses et trajectoires rectilignes – cap direct sur le Horn – est seulement interrompue par un cri d’alarme, le 10 avril : « Iceberg droit devant ! » Philippe Péché, l’homme de barre, distingue à 3 milles (5 km) dans la brume un glaçon de la taille d’un paquebot. Sous trinquette et grand-voile un ris, le maxi catamaran fonce droit dessus. Le radar vient de disjoncter.

Ce ne sont pas les glaçons du Grand Sud qui stopperont la belle progression plein est du géant Orange, mais bien la dépression tropicale qui a mobilisé tous les esprits du bord pendant cette traversée du Pacifique sud. Le 12 avril, par 57° sud, la voici qui « fait sauter le bateau de vague en vague et risque de casser quelque chose », dixit Bruno Peyron. Grand-voile affalée, gennaker enroulé et rangé, tourmentin hissé. « C’est un peu dommage que notre version Pacifique Express s’arrête comme cela, regrette le skipper, mais nous sommes là pour ramener le Trophée Jules Verne et rien d’autre ! ».

Les choix de Bruno Peyron, qui joue la prudence depuis le début du parcours, s’avèrent payants. Le 13 avril, en avance de plus de quatre jours sur le temps de passage d’Olivier de Kersauson en 1997, l’équipage d’Orange franchit sous la pluie la longitude du dernier des grands caps du Trophée Jules Verne, le redoutable Horn.

L’océan Pacifique a été avalé en un temps record : 12 jours 19 heures et 30 minutes. Orange a abattu des journées à 600 milles (1111 km) et plus. Effectué une pointe à 39,7 nœuds. « Il est surtout intact après 42 jours de mer difficiles » se réjouit son skipper.

Bonne Mère, priez pour nous…

©Photo Gilles Martin-Raget © Photo Gilles Martin-Raget

La remontée de l’Atlantique impose aux hommes d’Orange un nouveau cas d’école météo : le franchissement complexe d’un anticyclone, sous la menace directe d’une violente dépression. Pendant huit jours, Orange trace un long bord à l’est, bien plus est que les trajectoires alors dessinées par les coureurs du Jules Verne. La route habituelle est rallongée de 23%. Mais la dépression est belle et bien prise de vitesse, ses vents de 60 nœuds (111 km/h) contournés à 20 milles (37 km) près. L’anticyclone est traversé au plus court. Le 22 avril, Orange est au rendez-vous des alizés de sud est, qui le porteront à l’orée du pot au noir.

Le passage de l’équateur, deux jours plus tard, est l’occasion pour Bruno Peyron d’annoncer une nouvelle beaucoup moins enthousiasmante à son PC parisien : «  La boule en titane de 12 cm de diamètre sur laquelle repose les 1 200 kg du mât et du gréement, avec une compression parfois égale à plus de 60 tonnes, est fissurée dans sa partie inférieure sur une circonférence de 170 degrés. Si elle se brise, le mât tombe. »

Le skipper a décidé de poursuivre l’aventure. La météo s’y prête. Mais pour espérer ramener le bateau entier à Brest, le près est désormais prohibé et il faudra à tout prix éviter de naviguer contre la houle. À bord, on compte aussi sur la chance, entre autres alliés des marins… « Dites à nos amis Marseillais de mettre un cierge à la Bonne Mère pour notre pied de mât ! », lance Bruno Peyron, lors de vacation radio 26 avril.

La sainte patronne de Marseille, port d’accueil d’Orange, a-t-elle entendu la requête du skipper baulois ? Le bateau tient la mer, engrange ses 460 milles (851 km) quotidiens et fonce plein nord vers l’archipel des Açores, contournant par l’ouest l’anticyclone du même nom. Il peut même raccourcir la route suivie en 1997 par Olivier de Kersauson.

Aux urnes les marins !

À terre, un autre duel est en train de se jouer : la course à l’Élysée. Le dimanche 5 mai, Jacques Chirac affrontera au deuxième tour de l’élection présidentielle, le candidat d’extrême droite. La France est dans la rue. « En tant que marins, amoureux de la nature et de la liberté, on ne peut qu’ajouter un peu de force à ceux qui étaient dans la rue ces derniers jours… Nous faisons tout notre possible pour être à Brest dimanche et pouvoir ainsi aller voter », promet Bruno Peyron.

Le 4 mai, c’est la dernière ligne droite. Orange cavale, cap sur Ouessant, à 25 nœuds, bâbord amure, sous grand-voile haute et solent.
La veille, dernière frayeur, le grand gennaker a explosé en lambeaux.
Dans la nuit du 4 au 5 mai, dernière épreuve météo, le maxi catamaran est piégé dans les calmes à 150 milles (277 km) du point final de son tour du monde.

Les treize d’Orange étaient partis inquiets pour la tête de mât, ils reviennent préoccupés par son pied… Mais c’est un bateau quasi indemne qui franchit la ligne d’arrivée du Trophée Jules Verne le 5 mai, à 16 heures, 13 minutes, 45 secondes. Durant 64 jours, 08 heures, 37 minutes et 24 secondes, Bruno Peyron et ses équipiers n’ont jamais cédé au doute. À 18,15 nœuds de moyenne, ils ont établi un nouveau temps référence sur le parcours Ouessant – Ouessant via les 3 grands caps, soit 28 035 milles (52000 km). Ils battent le précédent record d’Olivier de Kersauson de 7 jours, 5 heures, 44 minutes et 44 secondes.

Et le skipper breton de conclure, beau joueur : « C’est une belle page de sport qu’Orange vient de tourner. Pour réussir une entreprise comme le Trophée Jules Verne, il faut une bonne équipe, un bon bateau et bien savoir le préserver. Bruno Peyron a su le faire. L’époque des 27 mètres est terminée. C’est le début d’une nouvelle compétition et elle durera longtemps. »

Olivier de Kersauson / Geronimo

Les tentatives de record, à l’assaut du Trophée Jules Verne, sont autant d’aventures océaniques, qui méritent d’être racontées ici.

 
Graves avaries ou retards trop importants ont souvent stoppé des capitaines courageux dans leur élan. D’autres skippers sont parvenus à boucler leur tour… Seulement pas assez vite pour battre le record alors établi.
 
Ces performances, histoires d’hommes, de femmes et de bateaux, seront retranscrites dans ces pages.
 
À bientôt !

Bruno Peyron / Orange

Les tentatives de record, à l’assaut du Trophée Jules Verne, sont autant d’aventures océaniques, qui méritent d’être racontées ici.

Graves avaries ou retards trop importants ont souvent stoppé des capitaines courageux dans leur élan. D’autres skippers sont parvenus à boucler leur tour… Seulement pas assez vite pour battre le record alors établi.

Ces performances, histoires d’hommes, de femmes et de bateaux, seront retranscrites dans ces pages.

À bientôt !

Tracy Edwards / Royal & SunAlliance

Les tentatives de record, à l’assaut du Trophée Jules Verne, sont autant d’aventures océaniques, qui méritent d’être racontées ici.

Graves avaries ou retards trop importants ont souvent stoppé des capitaines courageux dans leur élan. D’autres skippers sont parvenus à boucler leur tour… Seulement pas assez vite pour battre le record alors établi.

Ces performances, histoires d’hommes, de femmes et de bateaux, seront retranscrites dans ces pages.

À bientôt !

Olivier de Kersauson / Sport-Elec

Sixième tentative pour Olivier de Kersauson : le Breton veut son record de vitesse autour du monde. Au risque de voir Sport-Elec, son trimaran géant, piégé par les glaces meurtrières du Grand Sud. Avec passion et acharnement, il lance son équipage sur les traces de Peter Blake, bien décidé à prendre son titre au dernier détenteur du Trophée Jules Verne.

Faire demi-tour ? Olivier de Kersauson, vissé à la table à cartes, allume une cigarette au mégot de la précédente. Dans le crâne du capitaine breton, la tempête fait rage. Dehors, c’est le calme plat ou presque depuis le départ de Ouessant, le 8 mars 1997, à 17 heures et 37 minutes.

Kersauson attendait ce jour depuis plus de deux ans. Deux mois plus tôt, il avait tourné bride à hauteur de Cape Town. Sport-Elec, son trimaran de 27 mètres, accusait quatre journées de retard sur son concurrent virtuel, ENZA New Zealand, détenteur du Trophée Jules Verne en 1994(6)(6)En 1994, Olivier de Kersauson, à bord de Lyonnaise des Eaux Dumez, franchissait la ligne d’arrivée du Trophée Jules Verne 2 jours et 6 heures seulement après ENZA…. Impossible, dans ces conditions, de battre le record établi par Peter Blake et Robin Knox-Johnston.

« Grosse déception »

À la faveur d’une brève fenêtre météo, l’équipage de Sport-Elec vient de repartir. Mais, cette fois, si Kersauson décidait de revenir à Ouessant pour cause de mauvaises conditions météo, le bateau resterait à quai. La saison est déjà très avancée pour une nouvelle tentative. L’hiver austral pourrait rendre impraticable la meilleure trajectoire, serrant au plus près le continent Antarctique. Le temps perdu dans la pétole de l’Atlantique nord promet déjà d’avantage de nuit, de froid, de glace et de danger dans le Grand Sud.

De l’autre côté de l’Atlantique, depuis son cottage du Maine, Bob Rice, déchiffre pour l’équipage de Sport-Elec les présages de la météo. Olivier de Kersauson est en contact quotidien avec ce routeur hors pair, qui a guidé Peter Blake et Robin Knox-Johnston jusqu’au record en 1994. Les pronostics de Bob n’ont rien d’encourageant. Pas un souffle d’air avant plusieurs jours. « La seule dépression à 1000 milles à la ronde est dans mon crâne », racontera Olivier de Kersauson(7)(7)Olivier de Kersauson, Tous les océans du monde, 71j, 14h, 22’, 8’’, le cherche midi éditeur, 1997.. Le retard sur ENZA est de 1088 milles (2014 km).
Yves Pouillaude, Hervé Jan, Didier Gainette, Thomas Coville, Michel Bothuon et Marc Le Fur guettent les réactions de leur capitaine devenu mutique.
Kersauson se fend d’un télex à son PC : « Grosse déception : on est empêtrés dans des temps indignes et j’ai peur de couper les kwaters dans le même chrono infâme de la première descente / de quoi se taper la tête contre les murs / Enfin, toute l’horreur n’est pas encore consommée / vive les bateaux à moteur. »

Archives RivacomArchives Rivacom

Premier record

Sport-Elec franchit l’équateur le 20 mars, à 18h23, après onze jours de mer… Et touche enfin le vent. Le retard sur le détenteur du Trophée Jules Verne commence à fondre. À hauteur de Cape Town, Sport-Elec n’a gagné que 200 milles (370 km) sur sa première tentative de l’année, mais l’écart avec ENZA n’est plus que de 580 milles (1074 km).
Le trimaran d’Oivier de Kersauson entre dans les quarantièmes après 18 jours de navigation et ENZA-en-1994 devance toujours Sport-Elec-en-1997…
Olivier de Kersauson peut tout de même se réjouir d’un premier record, au cap de Bonne-Espérance : équateur-cap de Bonne-Espérance en 10 jours, 13 heures et 27 minutes.

© Photo Christian Février © Photo Christian Février

Dès son entrée dans l’océan Indien, le trimaran navigue sous gennaker medium et grand-voile haute, dans un flux d’ouest de 20 à 30 nœuds. Le bateau assure une belle moyenne de 18 nœuds. « Aller plus vite dans ces conditions serait périlleux », commente Kersauson. L’équipage s’autorise alors à croire au Trophée Jules Verne. À chaque changement de quart, on s’interroge : combien de temps repris sur ENZA ? À quelle vitesse ?

Le fantôme d’ENZA

Sport-Elec fonce dans le vent d’ouest, dévale l’océan Indien à plus de 430 milles (800 km) au sud de la route tracée par Blake et Knox-Johnston en 1994. Le catamaran néo-zélandais n’est bientôt plus qu’à 68 milles (125 km) au-devant. « Le fantôme d’ENZA, notre concurrent virtuel, serait en vue… S’il était visible », commente Kersauson.

Sport-Elec rugit sous le choc des vagues explosant contre sa coque. Un vent glacé hurle dans le gréement. À bord, les hommes se taisent la plupart du temps. Harnachés sur le pont, engoncés dans leurs cirés humides, stoïques quand ils reçoivent des paquets de mer à 2°C en pleine face, certains font l’expérience du Grand Sud pour la première fois. Le vent ne descend plus en dessous des 35 nœuds (64 km/h). Tout est trempé, gelé à l’intérieur du bateau. « J’ai toujours détesté l’océan Indien, dit Olivier de Kersauson, Dominique Guillet y est mort, Deroux aussi. Entre 80° et 110° Est, on est massacré dans l’indien. »
Par 51°Sud et 112°Est, l’équipage de Sport-Elec aperçoit les premiers icebergs.

Archives RIVACOM Archives Rivacom

Bord à bord

La longitude du cap Leeuwin est dépassée le 8 avril 1997 à 7 heures, 7minutes et 3 secondes. Un record de plus(8)(8)Cap de Bonne-Espérance-cap Leeuwin en 8 jours, 23 heures, 17 minutes, 3 secondes.. Sport-Elec accélère encore le rythme et met enfin le fantôme d’ENZA derrière lui. Pas pour longtemps.
L’eau de mer a envahi la cale et noyé le moteur. Le groupe électrogène peine à démarrer. Sans électronique, pas de communication avec Bob Rice, et sans routage il est impossible d’envisager les 15 jours qui restent à parcourir dans les hautes latitudes. Kersauson ronge son frein. Yves Pouillaude, son second, vient à bout de la panne après trois jours passés dans la mécanique du bateau.
Le trimaran reprend sa place devant ENZA en doublant la Nouvelle-Zélande. La longitude de l’île Stewart est franchie avec 10 heures d’avance sur Blake et Knox-Johnston.

À la glace !

Depuis la descente de l’Atlantique sud, la météo a bien alterné les calmes, les vents contraires et les grains violents, mais aucun phénomène majeur n’a entravé la progression du trimaran. La vitesse moyenne de Sport-Elec est restée constante : entre 18 et 20 nœuds.
Une dépression d’origine tropicale lui barre bientôt la route. Il faut plonger au sud pour éviter la tempête qui menace d’être violente. Choisir de la contourner par le nord, rallongerait considérablement le parcours et reviendrait à renoncer au trophée. Bob Rice est formel, il ne reste plus qu’une solution, « aller à la glace ».
Kersauson se souvient du flotteur de son trimaran Charal, mutilé par un growler(9)(9)Un growler est un boc de glace dérivant entre deux eaux, bien plus petit qu’un iceberg, indétectable au radar et difficile à repérer à l’œil nu. lors de sa première tentative – avortée – de record de vitesse autour du monde, quatre ans plus tôt. « Les mecs, jusqu’ici on a joué petit, prévient le skipper, on va jouer le vrai Sud là. On rentre dans la vraie aventure. On ne fait plus la course autour du monde, on va au vrai danger. » Pas d’objection parmi les équipiers. Leur capitaine est secrètement ému. Heureux de constater, à ce stade de l’aventure, comme ses hommes font corps ensemble et avec le bateau.

Hervé Jan, Thomas Coville et Marc Le Fur. Archives Rivacom Hervé Jan, Thomas Coville et Marc Le Fur. Archives Rivacom

« C’est hallucinant, parfois on a l’impression qu’ENZA est là derrière nous, dit Kersauson, puis on se rend compte qu’on est seul, loin de tout, au milieu de la plus grande étendue déserte du monde. Et dans un champ de mines, ou plutôt d’icebergs. »
Toutes les heures, Sport-Elec croise un glaçon de la taille d’un immeuble. Impossible de faire route plus nord, où un vent d’est compromettrait la progression du trimaran. Mais Bob Rice donne ordre de remonter lorsque Kersauson emmène ses hommes effleurer l’océan Austral, par 60°, 61° Sud. La limite autorisée est le 59° Sud. À cette latitude l’eau est à trois degrés, plus bas les growlers fondent deux fois moins vite.

Après trois semaines de Grand Sud, la météo est bonne, le bateau glisse sur de longs surfs… La tentation est grande de rester collé à l’océan Austral, et de raccourcir ainsi le tour du monde. Mais la prison de glace se referme. Cap au nord-est, vers le Horn.

Nocturne Horn

Plusieurs jours de tempête et de vent d’est ont soulevé une mer difficile à l’approche du « caillou ». Un souffle d’ouest-sud-ouest envoie 25 nœuds (46 km/h) dans le sens inverse de la mer. Ça monte haut et court. La mer est lourde. Le vent tourne sans cesse. Durant quatre jours, Sport-Elec enchaîne les empannages(10)(10)Changements d’amure (côté duquel le voilier reçoit le vent) en passant par le vent arrière., toutes les quatre heures, et perd à ce rythme 130 milles (240 km) par jour sur la route prévue.

Dans la nuit du 24 avril, le trimaran double le Horn, en avance de 33 heures sur son concurrent virtuel. Le bateau, dans l’axe de la mer et du vent, glisse à 26 nœuds.
L’éclat du phare Cabo de Hornos est la première lueur aperçue de puis 30 jours, qui signale la première terre en vue depuis l’archipel de Tristan da Cunha, dans le sud de l’Atlantique.
« Démonstration courageuse et belle leçon. » Le message est signé de Peter Blake. Un autre télex parvient à bord, de la part d’Éric Tabarly : « Vous nous avez offert un spectacle d’un autre monde qui restera dans les annales de la voile. »

diapos ©l'equipage + RIVACOMArchives Rivacom

Mort subite

La course n’est pas terminée. Un gros anticyclone barre l’Atlantique et une dépression menace par le sud. Pas le temps de se diriger vers l’est et l’Afrique, pour bénéficier plus rapidement des alizés à l’issue de la remontée de jusqu’à l’équateur. Sport-Elec doit raser les Malouines puis grimper jusqu’au Brésil sur le flanc ouest d’une petite dépression venue d’Argentine… Avec le risque de se retrouver coincés entre la côte et cette dépression. Les milles d’avance sur ENZA, gagnés si âprement dans le Grand Sud, pourraient être perdus en un rien de temps.
La seule option possible s’avère d’abord payante. Kersauson annonce bientôt 800 milles (1481 km) et deux jours d’avance sur le record.
C’est ce moment que choisit l’ordinateur du bord réservé à la navigation pour mourir subitement. Kersauson frise l’apoplexie. Yves Pouillaude s’attèle à la mise en œuvre d’un plan B.

Apocalypse

La remontée obligatoire le long de la côte sud-américaine place Sport-Elec face au clapot. Le bateau « plante des pieux ». L’étrave se lève et retombe lourdement contre la mer. Le gréement souffre, les hommes aussi.
Au large de l’Uruguay, le vent passe soudain à 55 puis 60 nœuds (111 km/h). Un orage d’apocalypse s’abat sur l’équipage éreinté. « On affale tout, mer-deu !!!! », hurle Kersauson. Sous mât seul Sport-Elec fonce encore à 30 nœuds.
Calme et clapot à nouveau, le 1er mai. L’ambiance reste électrique. « On navigue sur des pavés depuis 3 jours / Plus d’orages plus de mer non plus / On plane, pas vite, pas haut / Passkya pas de vent non plus/ Le bord est nerveux / Fatigue », lâche Kersauson via télex. ENZA ne serait plus qu’à 500 milles (926 km) derrière.
Sport-Elec échappe enfin aux calmes de l’anticyclone de Sainte Hélène le 2 mai, et recommence à engranger les milles au portant. Le 6 mai, l’équipage de Kersauson franchit l’équateur pour la seconde fois par 28°35 Ouest de longitude et rafle au passage deux nouveaux records(11)(11)Ouessant-équateur (retour)en 58 jours 13 heures et 39 minutes ; et cap Horn-équateur en 11 jours, 20 heures et 41 minutes.. Le skipper breton se garde bien de crier victoire.

« Du bateau bien »

Sport-Elec prolonge son séjour dans le pot au noir, à tel point que Kersauson voit le trophée lui échapper. « Ce n’est pas grave », dit-il. Et de citer Tabarly : « On a fait du bateau bien », voilà ce qui compte.
Plus haut, l’anticyclone des Açores forme une barrière incontournable. ENZA avait fait route très à l’ouest des côtes européennes pour l’éviter, Kersauson préfère marcher tout droit vers la France, quitte à faire du près serré dans les alizés de nord-nord-est. Quitte à se rapprocher du cœur de l’anticyclone.
Le skipper peut souffler dès le 14 mai : son trimaran s’extirpe enfin des calmes, laissant l’archipel des Açores à bâbord. La vitesse moyenne du bateau bondit à 17 nœuds. Avec trois jours d’avance sur la performance de Blake et Knox-Johnston, Kersauson et ses hommes sont maintenant certains d’emporter le Trophée Jules Verne.
L’arrivée est laborieuse. Pas de dernière ligne droite pour Sport-Elec mais des bords jusqu’à Ouessant où le courant descendant d’une marée de vive-eau accueille le trimaran. Les équipiers de Sport-Elec franchissent la ligne d’arrivée le matin 19 mai 1997, à 8 heures 59 minutes et 39 secondes, dans 15 nœuds (27 km/h) de vent. Le Trophée Jules Verne est à eux(12)(12)TJV_COURSES_SportELEC_equipe small. Tous les bateaux du monde leur semblent s’être donné rendez-vous pour célébrer leur retour. Olivier de Kersauson embrasse du regard un chapelet d’îles sauvages, la roche bleutée d’une côte déchiquetée, sa Bretagne baignée de soleil. Yves Pouillaude rigole : « Maintenant, on peut démâter. » 

19 mai 1997. A Brest, Sir Peter Blake monte à bord dès l’arrivée pour féliciter ODK, nouveau vainqueur du Trophée Jules Verne. © Photo Christian Février

Peter Blake & Robin Knox-Johnston / Enza New Zealand

Contraints d’abandonner en 1993, Peter Blake et Robin Knox-Johnston sont de retour sur le parcours du Trophée Jules Verne dès 1994. Leur catamaran, ENZA New Zealand est désormais classé plus grand voilier de course du monde. À bord de ce nouveau prototype, mené par huit équipiers, Blake et Knox-Johnston s’apprêtent à établir le nouveau record du Trophée Jules Verne…

Un vent de nord est à 35 nœuds (65km/h) soulève l’écume au large de Ouessant, le 16 janvier 1994. Peter Blake est à la barre(13)(13)Beyond Jules Verne, circling the world in a record-breaking 74 days, Robin Knox-Johnston, Hodder and Stoughton, 1995.. À ses côtés, Robin Knox-Johnston sourit malgré le froid et les embruns. À 14 heures et 5 secondes, le catamaran ENZA New Zealand vient de franchir la ligne de départ du Trophée Jules Verne, sous grand voile arrisée et génois maxi, flirtant avec les 20 nœuds.

Il semble déjà loin le souvenir d’ENZA, rebroussant péniblement chemin vers l’Afrique du Sud. C’était pourtant il y a moins d’un an. Après 26 jours de mer à l’assaut du Trophée Jules Verne, le catamaran néo-zélandais entrait en collision avec un objet flottant non identifié. Le duel de géants, qui se jouait alors sur l’eau depuis Ouessant, prenait brutalement fin. Bruno Peyron, à bord de Commodore Explorer, poursuivait sa route pour bientôt porter le record de vitesse autour du monde à 79 jours, 5 heures, 15 minutes, 56 secondes… Et remporter le Trophée.

« Unfinished business »

Six mois après l’abandon forcé, le PDG de la firme ENZA(14)(14) Le logo d’ENZA, habillé pour le Trophée Jules Verne. annonçait en assemblée générale : « We have got unfinished business… », « Nous avons quelque chose à terminer ; nous avons le bateau et l’équipe pour faire le travail et achever ce que nous avons commencé, alors nous repartons.»

Réparé aux chantiers McMullen & Wing à Auckland, retaillé pour la course, le « big cat » mesure désormais 28 mètres. Sa coque est renforcée sous la ligne de flottaison, ses voiles ont été retaillées, sa structure allégée.
Pour leur seconde tentative, Peter Blake et Robin Knox-Johnston recrutent six hommes contre quatre la fois précédente.(15)(15) The Sir Peter Blake Trust Collection / Alan Sefton. Photo Philippe Millereau © Agence DPPI Ed Danby, Don Wright, David Alan-Williams, et le caméraman George Johns seront épaulés par deux nouveaux équipiers, Barry Mackay et Angus Buchanan. The Sir Peter Blake Trust Collection / Alan Sefton. Photo Philippe Millereau © Agence DPPI
Leur objectif est simple : finir le parcours bien sûr, mais surtout améliorer le temps de Commodore Explorer et établir un nouveau record du monde.

Cette année encore, ils ne sont pas seuls à relever le défi. Olivier de Kersauson est de retour, à bord du trimaran Lyonnaise des Eaux Dumez, qui est aussi l’un des plus grands multicoques du monde.

The Sir Peter Blake Trust Collection / Alan Sefton. Photo Henri Thibault © Agence DPPI

Peter Blake et Olivier de Kersauson. The Sir Peter Blake Trust Collection / Alan Sefton. Photo Henri Thibault © Agence DPPI

Carte extraite du dossier de presse de l'époque

Le parcours d’ENZA New Zealand, carte extraite du dossier de presse, (1994).

En avance à l’équateur

ENZA donne le ton dès son premier jour de navigation, avec 411 miles (761 km) parcourus en 24 heures, à une moyenne de 17,5 nœuds. Le Golfe de Gascogne est traversé en une journée. Peter Blake et Robin Knox-Johnston maintiennent l’allure.
Lyonnaise des Eaux Dumez est aperçu de loin en loin peu après le départ, mais la radio d’Olivier de Kersauson reste le plus souvent muette, ne lâchant à son adversaire que de rares indices sur sa progression.

On apprend que le trimaran d’«ODK » parvient à l’équateur quelques neuf heures après ENZA. En avance sur son tableau de marche, le catamaran de Blake et Knox-Johnston atteint cette première marque géographique majeure après 7 jours, 4 heures et 24 minutes de mer; soit 39 heures de moins que Bruno Peyron en 1993.
Car c’est surtout ce concurrent virtuel qui préoccupe les skippers néo-zélandais et britannique. Les distances parcourues par ENZA, la vitesse moyenne du bateau, sont sans cesse comparées avec les prouesses passées du premier détenteur du Trophée Jules Verne.

Le délicat passage du pot au noir a été bien négocié. Cette zone de vents capricieux, aux abords de l’équateur, a été franchie à une vitesse de 8 à 14 nœuds. ENZA est de 15 à 20 % plus rapide que l’année précédente, se réjouit son skipper Peter Blake.

Dans l’influence de Sainte Hélène

The Sir Peter Blake Trust Collection / Alan Sefton.

Credit Ivor Wilkins Sir Peter Blake Trust of NZ The Sir Peter Blake Trust Collection / Alan Sefton © Photo Ivor Wilkins

Pour gagner les mers du sud, Blake et Knox-Johnston tracent une courbe à l’ouest. Une stratégie inverse à celle choisie en 1993, pour contourner l’anticyclone de Sainte Hélène, principal obstacle de cette portion du parcours, où ils s’étaient trouvés encalminés.

Navigant au portant dans les alizés de sud-est, au large des côtes brésiliennes, ENZA est toujours en avance sur son tableau de marche, malgré grains et calmes alternés qui ralentissent sa progression.

Le 27 janvier, depuis la terre, Bruno Peyron se montre confiant pour ses challengers : « Les prévisions météo sont exceptionnelles, comme dans les livres. L’anticyclone de Sainte Hélène est bien positionné. Ils n’ont qu’à descendre plein sud avant de tourner à gauche quand ils atteindront les quarantièmes sud. »
Les estimations du Baulois se révèlent optimistes. Par 33° 28 sud et 29° 23 ouest, ENZA n’échappe pas à l’influence de Sainte Hélène. « Nous naviguons en ce moment à la vitesse de 1,4 nœuds et la grand voile bat lamentablement, déclarent Peter Blake et Robin Knox-Johnston dans un télex du 29 janvier, c’est extrêmement frustrant de perdre une partie de l’acquis des jours précédents, mais il n’y a rien d’autre à faire que persévérer. »

Barry MacKay profite de ce calme pour inspecter les coques du bateau – une baleine a été heurtée sur bâbord quelques jours plus tôt – et Don Wright grimpe au mât pour une inspection du gréement, en prévision des quarantièmes rugissants.

« Ces trucs que l’on met dans les boissons… »

Les albatros accueillent bientôt ENZA dans le Grand Sud. « Pour naviguer dans des vents soutenus, nous sommes contraints de descendre jusqu’au 45° de latitude sud au lieu des 40° habituels » prévient Peter Blake, le 3 février.

Descendre au sud permet aussi de réduire la distance de contournement du continent Antarctique. Mais gare aux growlers ou autres icebergs dès que la température de l’eau descend en dessous des 2°C. Comme on ne prononce pas le nom d’un « longues oreilles » sur un bateau, le mot « iceberg » est banni à bord du catamaran. « Peter, as-tu vu de ces trucs que l’on met dans les boissons pour les refroidir ? », s’enquiert le PC d’ENZA New Zealand.

Le 5 février, ENZA dépasse la longitude du cap de Bonne Espérance(16)(16)Ouessant-cap de Bonne Espérance : 19 jours, 17 heures, 53 minutes et 9 secondes., avec une journée d’avance sur le détenteur du record. Un vent d’ouest sud-ouest se lève alors, soufflant jusqu’à 40 nœuds (74 km/h) et soulevant des vagues de 10 mètres.
« Sans problème pour l’instant, on touche du bois, rapporte Peter Blake, mais ça tape terriblement. Parfois, ça fait tellement de bruit que je sors de ma couchette et je monte sur le pont me reposer. Je me demande comment on tient le coup et pourquoi le bateau ne tombe pas en miettes. C’est vraiment une merveille de technologie malgré ses onze ans d’âge ! »

Angus à la mine, Blake au lit

Trois jours plus tard, le skipper est plus fébrile : « On a frôlé la catastrophe ». ENZA vient d’échapper au chavirage. Le bateau est « descendu à la mine », « a enfourné », enfoncé la proue des flotteurs sous l’eau, passant de 25 à 0 nœuds en quelques secondes. Les équipiers hors quart ont été éjectés de leurs bannettes. Angus Buchanan, le benjamin de l’équipe, qui était à la barre, est désormais surnommé « le mineur ». Comme il est aussi médecin du bord, c’est lui qui administre ses massages à un Peter Blake énervé, cloué à sa couchette par un mal de dos provoqué par la secousse.

Cette péripétie prouve aux yeux des skippers d’ENZA, l’intérêt d’un équipage de huit marins. Un homme de quart en moins, l’allure ne faiblit pas.

La performance du catamaran n’est pas plus affectée par le mauvais temps. Depuis son entrée dans l’océan Indien, la vitesse moyenne du bateau est remontée à 16,57 nœuds. ENZA creuse l’écart qui le sépare de son concurrent fantôme, Commodore Explorer, et laisse Lyonnaise des Eaux Dumez, son adversaire direct, à plus de 1400 milles (2592 km) derrière.

« Faites attention les garçons », conseille via radio Florence Arthaud. La co-fondatrice du Trophée Jules Verne est venue à son tour encourager l’équipage anglo-saxon : « Vous avez fait un tiers du parcours, maintenant, soyez prudents. On croise les doigts et on pense bien à vous. Mais n’allez pas trop vite quand même, on compte bien tenter notre chance après vous ! »

The Sir Peter Blake Trust Collection / Alan Sefton

The Sir Peter Blake Trust Collection / Alan Sefton. Photo George Johns © Agence DPPI Peter Blake, cloué à sa couchette pour cause de blessure, continue à mener la navigation. The Sir Peter Blake Trust Collection / Alan Sefton. Photo George Johns © Agence DPPI

« Un temps de pingouins »

Le 21 février, par 59°43 de latitude sud et 175°53, ENZA peut enfin faire cap à l’est. Longeant le bas du monde, le catamaran file à 20 nœuds de moyenne, en direction du cap Horn. La veille, une aurore australe a transpercé la nuit. « C’est peut-être de bon augure pour le match Angleterre-Irlande », espèrent les anglais du bord. À terre, se joue le Tournoi des Cinq Nations.

En mer, le duel reprend avec Olivier de Kersauzon. Si les degrés de longitude sont plus vite avalés dans les basses latitudes où progresse ENZA, les vents qui l’accompagnent sont irréguliers. Quatre dépressions successives bloquent le catamaran néo-zélandais au sud tandis que le trimaran français, navigant plus au nord, réalise de meilleures moyennes.

À bord d’ENZA, les conditions de vie sont rudes par 61° sud. À l’intérieur, le chauffage est en panne. Sur le pont, l’eau gèle dans les bouteilles. « Un temps de pingouins » commente Peter Blake.
Un guetteur est posté en permanence à la proue du bateau. Le skipper néo-zélandais racontera plus tard avoir croisé « de grandes cathédrales de glace sculptée. » « Certaines d’entres elles, mesurées au sextant, étaient longues de plus d’un mille (1852 mètres) pour 70 mètres de hauteur. »

Le retour de Kersauson

45ème jour de navigation. Après les affres de l’océan Pacifique, c’est une tempête de nord-est qui met encore à l’épreuve l’équipage et le bateau à l’approche du cap Horn. Le gréement souffre, le génois est déchiré, ENZA est dérouté pour permettre une réparation en urgence. De précieux milles sont perdus.

Peter Blake double enfin et pour la cinquième fois le cap Horn, le 5 mars, après 48 jours de mer. À bord, seuls deux équipiers voient le Horn pour la première fois.
ENZA quitte le Pacifique avec 5 jours d’avance sur Commodore Explorer. Mais Kersauzon suit de près. 26 heures après Blake et Knox-Johnston, il franchit à son tour le passage de Drake.

La remontée de l’Atlantique, le long de côte du Brésil, avait pénalisé Bruno Peyron et son équipage. Peter Blake et Robin Knox-Johnston choisissent de faire route plus à l’est. Un détour censé éviter un vent de face et une remontée au près, coûteuse pour un catamaran de course. La vitesse moyenne d’ENZA retombe à 8 nœuds. Il faudra 10 jours aux deux skippers pour savoir si leur option est payante. Le 14 mars, par 25° 51 sud et 23°54 ouest, ENZA retrouve enfin les alizés de sud-est.
Devancé depuis 50 jours, Lyonnaise des Eaux Dumez remonte soudain à la même latitude… Mais l’équipage français compte trois hommes de moins que celui des anglo-saxons. La fatigue se fera bientôt ressentir.
À bord d’ENZA aussi, on est impatient d’arriver.

A gauche: Sir Robin Knox Johnston. A droite: Sir Peter Blake. The Sir Peter Blake Trust Collection / Alan Sefton. Photo George Johns © Agence DPPI
À gauche: Sir Robin Knox Johnston. À droite: Sir Peter Blake. The Sir Peter Blake Trust Collection / Alan Sefton. Photo George Johns © Agence DPPI

Dernière ligne droite, dernière tempête

« La zone de convergence commence à 2° nord. Il sera donc intéressant d’observer la progression de notre rival. Quant à nous, il semble que nous en soyons sortis depuis hier. Les signes extérieurs sont positifs, même si nous gardons toujours les finger crossed ! » écrit Peter Blake, dans un télex matinal, le 21 mars. Les conditions météo favorables rencontrées à la sortie du pot au noir profiteront aussi à Lyonnaise des Eaux Dumez.

À 2208 milles (4089 km) de l’arrivée, le 24 mars, ENZA doit conserver une moyenne dépassant les 7,5 nœuds pour espérer ravir son Trophée à Bruno Peyron. Au vu de la vitesse assurée depuis le départ, c’est faisable. Mais la météo n’est pas toujours prévisible. L’anticyclone des Açores est un obstacle majeur à contourner dans l’hémisphère nord, sous peine de voir le bateau immobilisé à quelques milliers de milles de Ouessant. Or il ne reste que 12 jours 6 heures et 15 minutes à Blake et Knox-Johnston pour gagner leur pari.

Le 27 mars, Olivier de Kersauson sort de sont mutisme : Lyonnaise des Eaux Dumez, à 640 milles (1185 km) derrière ENZA, par 32°27 nord et 48°35 ouest, souffre d’une avarie de gréement et se trouve ralenti par les vents faibles générés par l’anticyclone des Açores.
Le catamaran néo-zélandais pâtit aussi de ces conditions météo, ralentissant jusqu’à 5 nœuds, avant de reprendre de la vitesse, toujours plus loin devant les français.

The Sir Peter Blake Trust Collection / Alan Sefton. Photo Henri Thibault © Agence DPPI Les traînards dans le sillage d’ENZA. The Sir Peter Blake Trust Collection / Alan Sefton. Photo Henri Thibault © Agence DPPI

À deux jours de l’arrivée la tentation est grande de lâcher la bride au « big cat » et de laisser ENZA filer vers la victoire. Mais ses deux skippers restent prudents. Le bateau est fatigué, les hommes aussi.
Les derniers milles sont éprouvants, la mer est mauvaise, le vent monte à 70 nœuds (129 km/h) aux abords de la Bretagne. « Plus dangereux qu’au Cap Horn », dira Blake. ENZA enfourne, menace de se retourner. Il faut larguer des traînards dans son sillage pour garder le contrôle du bateau.

Recrachés par la tempête au large de Ouessant, les équipiers d’ENZA New Zealand franchissent la ligne d’arrivée du Trophée Jules Verne, le 1er avril 1994, après 74 jours, 22 heures, 17 minutes et 22 secondes de course autour du monde. Le record de Bruno Peyron est battu de près de 5 jours.

« ENZA New Zealand est un remarquable navire », affirme Peter Blake à la presse.
« Avec un meilleur bateau et un peu de chance, le tour du monde en 67 jours est possible », augure le skipper néo-zélandais, avant d’ajouter : « Mais ce sera sans moi. »
Peter Blake et Robin Knox-Johnston ont atteint leur objectif. Ils rêvent déjà à d’autres défis.
Olivier de Kersauson n’a pas dit son dernier mot.

The Sir Peter Blake Trust Collection / Alan Sefton. © Agence DPPISir Peter Blake, de retour à Brest, en famille. The Sir Peter Blake Trust Collection / Alan Sefton. © Agence DPPI

Bruno Peyron / Commodore Explorer

À bord de Commodore Explorer, le plus grand catamaran de sa génération, Bruno Peyron ouvre la voie avec un tour du monde magistral, en moins de 80 jours. Personne n’avait tenté l’aventure, encore moins sur une telle monture. Le Baulois et ses quatre hommes d’équipage relèvent le défi de Phileas Fogg(17)(17) Pin’s collector ! TJV_COURSES_Commodore_badge. Contre eux, ils ont de redoutables concurrents et les conditions extrêmes des plus féroces mers du globe.

Ouessant, samedi 30 janvier 1993. À 14 heures, deux minutes et 27 secondes, sous grand voile haute et foc solent, Commodore Explorer passe la ligne de départ… Avec sept heures de délai. Peter Blake et Robin Knox-Johnston, à bord de leur catamaran ENZA New Zealand, sont partis au petit matin, eux aussi à l’assaut du Trophée Jules Verne. Ce départ décalé fournira à Bruno Peyron et à son équipage une magnifique opportunité de se dépasser. Il faut courir après les « kiwis ».

Samedi 30 janvier. Peter Blake, Robin Knox-Johnston et Bruno Peyron consultent les derniers relevés météo quelques heures avant de quitter Brest. Sir Peter Blake Trust of NZ © Christian Février

Les deux concurrents talonnent aussi Olivier de Kersauson, qui a entamé son tour du monde cinq jours plus tôt, à bord du trimaran Charal. « Kersau » ne se prête pas au jeu de ses petits camarades. Il a fixé ses propres règles. Il court hors Trophée. Mais le capitaine breton est déterminé à descendre sous la barre des 80 jours et à rafler le record.

Aussi résolu, Bruno Peyron affiche pourtant une grande prudence. Quel sera le comportement d’un catamaran géant dans les mers et la météo des hautes latitudes ? Commodore Explorer est l’ex-Jet Services(18)(18)En 1993, à l’époque où Bruno Peyron l’achète, Jet Services V est le catamaran le plus rapide du monde, avec le record de traversée de l’Atlantique en 6 jours et 13 heures. « tourdumondisé », porté à 26 mètres. Une « machine à fabriquer du vent », taillée pour la course mais très difficile à freiner et… Plus stable à l’envers qu’à l’endroit. L’architecte de la « fusée bleue » a conçu les flotteurs comme deux caissons de survie, où l’équipage pourrait passer un mois, en cas de retournement.

Pour Bruno Peyron, le Trophée Jules Verne est un terrain d’étude en vue de l’élaboration du « catamaran de l’an 2000 », son rêve de 40 mètres de long. Seuls objectifs avoués : revenir à Ouessant en ayant fait le meilleur temps et battu le dernier record établi. Celui, très accessible, de Titouan Lamazou, sur monocoque et en solitaire, qui a bouclé son tour en 109 jours. Enfin, il s’agit avant tout ramener le bateau à bon port et, surtout, les hommes!

Les équipiers de Commodore Explorer. Marc Vallin, Jacques Vincent, Bruno Peyron, Cam Lewis, Thomas Coville (qui n'était pas à bord de Commodore Explorer lors de cette tentative du Trophée Jules Verne), Olivier Despaigne. La dream team de Commodore Explorer: Marc Vallin, Jacques Vincent, Bruno Peyron, Cam Lewis, Thomas Coville (qui n’était pas à bord de Commodore Explorer lors de cette tentative du Trophée Jules Verne), Olivier Despaigne. © Photo Jacques Vapillon.

Record à l’équateur

« Nous ne sommes pas trop de cinq pour faire le boulot quotidien », confie Bruno Peyron, quatre jours à peine après avoir largué les amarres, « nous avons tendance à mener Commodore Explorer comme pour un Grand Prix qui d’ordinaire « consomme » une dizaine de solides gaillards. » À bord d’ENZA, ils sont sept, donc plus lourds mais moins vite usés par l’effort. Pourtant, dans le duel tactique qui s’est engagé entre les deux catamarans, Commodore Explorer reprend vite l’avantage, dès la descente de l’Atlantique.

Tandis que Peter Blake et Robin Knox-Johnston serrent la côte africaine, empruntant ainsi la route la plus courte, Bruno Peyron trace sa courbe bien plus à l’ouest, en quête d’un souffle d’est. Le catamaran bleu file bientôt à 20 nœuds vers le sud, vent de travers, son allure favorite. Les « Commodore boys », désormais en tête, traversent le pot au noir(19)(19)Le Front inter tropical ou « pot au noir » est une zone nuageuse aux abords de l’équateur, caractérisée par un régime de vents très capricieux, variant du calme plat aux soudaines rafales à plus de 30 nœuds (55km/h). sans trop de difficultés. Le 9 février, le « Magic Team » de Peyron franchit l’équateur, raflant son premier record(20)(20)Manche – Équateur en 8 jours, 19 heures, 25 minutes et 45 secondes..

© Photo Christian Février © Photo Christian Février

Peyron en enfer

Depuis le départ de Brest, le lecteur de cartes météo du bord est en panne. La liaison radio BLU n’est pas toujours fiable. Bruno Peyron doit se fier à son intuition et ne peut s’appuyer que sur des prévisions écrites, reçues quotidiennement par télex. À l’approche du Grand Sud, Météo France annonce un vent soufflant en tempête jusqu’à 50 nœuds (92 km/h). Rien que de très normal dans les quarantièmes rugissants où navigue Commodore Explorer, le 17 février. Seulement, l’alerte aux icebergs est lancée très tôt par Kersauson, qui ne devance alors ses poursuivants que de 450 milles (830 km). Un growler, un glaçon dérivant, vient de déchirer l’un des flotteurs de Charal, contraint d’abandonner. Peter Blake et Robin Knox-Jonhston poursuivent leur route vers l’est, évitant de s’aventurer au-delà du 38ème parallèle. Malgré le champ de mines en perspective, Peyron, toujours en tête, tente encore de gagner du temps et quelques degrés au sud… Trop sud.

« Enfer initiatique. Brutal. Violent. Puissant. Démesuré ! Il n’y a pas de qualificatifs précis pour exprimer ce qui se passe ici en ce moment », écrira Bruno Peyron par 42° Sud, « nous avons changé d’échelle et de planète. Commodore Explorer est sans doute le plus grand catamaran, mais ici il n’existe pas… Chavirage évité de justesse… ». Des vagues géantes ouvrent des gouffres sous les étraves de Commodore Explorer lancé à 30 nœuds dans la tourmente. Les hommes de Peyron luttent quarante heures durant pour tenter de maitriser le monstre. Ces marins expérimentés n’ont jamais connu de mer aussi violente. Le bateau, à sec de toile, s’en tire sans grosses avaries. Un miracle. Mais pour l’équipage, l’épreuve est énorme. Il mettra plusieurs semaines à s’en remettre.

Seul en course

En doublant le cap de Bonne espérance, le 22 février, Bruno Peyron s’autorise à nouveau à croire au Trophée. Après l’entrée fracassante dans les quarantièmes, et en dépit de quelques avaries à réparer en route, Commodore Explorer engrange les milles – 466 milles (863 km) le 25 février – volant ceux à nouveau perdus sur ENZA. La régate des géants reprend de plus belle.

Mais le 27 février, le catamaran néo-zélandais heurte un objet flottant non identifié. Le coup est fatal, Blake et Knox-Johnston abandonnent à leur tour pour faire route vers l’Afrique du sud. Il s’en faut de peu pour que Commodore Explorer les rejoignent. La veille, une vague particulièrement violente par le travers a percuté le bordé tribord. Le chantier a duré toute la nuit. La voie d’eau est finalement colmatée.

Après 33 jours de mer, 8 heures et 46 minutes, le dernier catamaran en lice dépasse, par 50° Sud, la longitude du cap Leeuwin, au large de l’Australie. Un record inédit que le PC de Bruno Peyron classe dans le sillage immédiat des grands clippers du XIXème siècle.
La météo est plus clémente à l’entrée dans le Pacifique. À la vitesse moyenne de 16 nœuds, Commodore Explorer gagne encore quelques degrés vers le continent Antarctique et se rapproche du 56° Sud, la longitude du cap Horn. La prochaine épreuve.

Les gueules du Horn

« Sommes toujours debout, écrit Bruno Peyron dans son carnet de bord à la date du 22 mars, et pourtant 45 nœuds de Sud dans la gueule à l’approche du cap Horn, il paraît que ça n’arrive que 10% du temps… » Deux dépressions se sont donné rendez-vous dans la zone, la fenêtre météo est étroite et changeante. Rattrapé par des vents à 70 nœuds (130 km/h) en rafale, Commodore Explorer, qui menace d’exploser en vol, est mis à la cape sèche(21)(21)Travers au vent et aux vagues, sans voiles.. « À l’intérieur tout s’organise en prévision d’un éventuel chavirage, décrit le skipper, nous dérivons à 4 nœuds dans le 70. Donc vers la côte. Nous sommes à moins de 100 milles (185 km) de la côte. Pas good. »

Plus de peur que de mal… Encore une fois, le bateau et les hommes tiennent. Le 25 mars, à la faveur d’une « accalmie » – des vents à 45 nœuds (83 km/h) – et après 53 jours de navigation, ils doublent enfin le cap Horn.
Le défi est aussi l’occasion de tester les nouvelles technologies embarquées. À bord et à terre on se félicite de la prouesse : une photo des « gueules du Horn » est transmise à Paris via satellite(22)(22) TJV_COURSES_Commodore_vsd ! Pour tout savoir sur Commodore Explorer, les fans peuvent aussi taper 3615 France Inter…

Adieu Trophée ?

Passé le Cap Horn, restent 9000 milles (16 668 km) avant d’atteindre Ouessant, soit un tiers du parcours. Pour espérer couper la ligne d’arrivée dans les temps, avant le 21 avril, Commodore Explorer doit tenir une moyenne de 14,5 nœuds. Mais le catamaran, conçu pour foncer au portant, est contre performant dans une remontée au vent. Or le retour dans l’Atlantique commence par une dizaine de jours de près, jusqu’à la pointe nord est du Brésil. Après le Brésil, le contournement de l’anticyclone des Açores par l’ouest, rallonge le parcours. Le 10 avril, Commodore Explorer, à nouveau lancé à 17 nœuds, entre en collision avec deux baleines. Le 16 c’est une bille de bois qui vient écraser l’étrave. Le bateau encaisse les coups, l’équipage tâche de garder le moral quand la vitesse moyenne quotidienne retombe à 4 nœuds. Trois jours avant l’arrivée, le skipper dit encore douter de sa capacité à gagner le pari de Phileas Fogg. Comme on éloigne la malchance, Peyron ne cesse de répéter « ce n’est pas une priorité ».

L’espoir renaît le 17 avril: Commodore Explorer s’offre un dernier sprint, à 21 nœuds de moyenne et avale 507 milles (938 km) en une journée. Rien ne l’arrêtera plus, pas même l’ultime tempête qui cueille les « boys » aux abords de la Bretagne.
Le 20 avril 1993, le catamaran bleu franchit la ligne d’arrivée du Trophée Jules Verne(23)(23)Pour un récit détaillé du périple de Bruno Peyron : Ghislaine Otthenheimer, Bruno Peyron et Yves-Marie Maquet, Bruno Peyron, le récit d’une victoire, Hachette/ Carrère éditions, 1993., sous le monumental Créac’h, le phare ouest de Ouessant. Le « Magic team » de Bruno Peyron vient de pulvériser le record de vitesse autour du monde et… De gagner son pari, en 79 jours, 6 heures, 15 minutes et 56 secondes(24)(24) TJV_COURSES_Commodore_lequipeTJV_COURSES_Commodore_figaro  .
Peter Blake et Robin Knox-Johnston sont déjà décidés à faire mieux. Olivier de Kersauson prépare lui aussi sa revanche…

Arrivée de Commodore Explorer devant le phare du Créac'h à 19h 18' 23" © Photo Christian Février Arrivée de Commodore Explorer devant le phare de Créac’h à 19h 18′ 23″ © Photo Christian Février