630, 640 milles et plus au compteur des dernières 24 heures ! L’ogive Orange fonce en bordure de la zone de convergence antarctique. À bord, les quarts s’enchaînent comme au premier jour, avec la juste mesure du plaisir d’affoler enfin les compteurs. L’heure est à l’attaque. Les éléments s’y prêtent, et le maxi catamaran ne se fait pas prier pour bloquer des heures durant le speedomètre à près de 30 nœuds. Tout va pour le mieux, dans l’espace le plus désolé du monde, malgré une dépression tropicale qui joue les épées de Damoclès au dessus des marins encagoulés. Le secret est dans la vitesse ; rester dans le flux actuel de la dorsale, et battre la dépression de vitesse. Orange en a les moyens ; Orange s’y donne complètement : 37,8 nœuds lors de la vacation du jour.
Bruno Peyron, au plus fort d’une journée marquée par de très grandes vitesses, refuse de se laisser griser : « Nous le disions depuis notre entrée dans le Sud ; dès que les conditions seront réunies, angle et force du vent, force et état de la mer, Orange accélérera, sans excès et sans déroger à notre mot d’ordre : préserver hommes et matériel. »
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À l’attaque !
Ciel bleu et cauchemars
Gilles Chiorri :
« Chaque saut de vague nous soulève de 40 centimètres dans nos bannettes. Vous imaginez ce que le mât encaisse au près ! », « Le ciel est bleu. Le vent est rentré fort. Nous marchons constamment entre 20 et 25 nœuds, sur une route encore un peu conservatrice pour ménager le mât. Nous croiserons demain la route de la transat Lorient-Saint Barth. Le clan des » figaristes » du bord essaiera de joindre les copains pour les saluer. »
Bruno Peyron :
« Pas encore de pronostic sur notre arrivée. Il va encore se passer beaucoup de choses. Notre chrono est jusqu’à présent plutôt bon. Mais le bateau exigera notre attention jusqu’au bout. A cet égard, Yann (Eliès) nous faisait part de ses rêves, de ses cauchemars plutôt. Il faut savoir qu’avec nos rythmes de sommeil raccourcis, nos rêves sont à la fois plus violents et plus faciles à se remémorer. Et Yann a rêvé cette nuit que je donnais l’ordre, au grand dam de l’équipage et pour préserver le bateau, de remplacer le mât… par la bôme ! »
Scotché
Pleine vitesse hier. Scotché cette nuit à l’entrée de la Manche. Ainsi va le Trophée Jules Verne. Orange est entré pleine balle, à 25 nœuds, dans le centre de la dépression. Bateau à l’arrêt cette nuit. Petite vitesse ce matin. Oubliés les rêves de café croissant par ce joli dimanche de mai. Plus probablement, le grand maxi coupera la ligne à l’heure du thé.
Ouessant est droit devant. Il faut traverser les calmes, à petite vitesse, et rejoindre la bordure est du système dépressionnaire. Le vent, faible, est à l’est. Soupe à la grimace cette nuit quand, un court instant, le bateau, après, vient taper durement contre la mer. Un ris et trinquette, l’équipage préfère réduire ; « Le mât mobilise toujours notre attention » rappelle Peyron. « Nous avons tiré un grand bord en Manche pour trouver un angle plus favorable au bateau, le calme fait aussi partie de cette aventure » souligne le skipper. À bord, la même sérénité règne : « J’aime ces moments, raconte Peyron, un mélange d’excitation et de concentration, le bonheur d’arriver et la vague nostalgie de savoir que quelque chose de très fort va s’arrêter. »
Premier record
Le 21 janvier, le catamaran néo-zélandais bat son propre record : 520,9 milles en 24 heures, à la vitesse moyenne de 21,7 nœuds. Mieux que Mike Birch, en 1984, à la barre de Formule Tag… Devenu ENZA New Zealand.
Peter Blake et Robin Knox-Johnston inscrivent dans leur carnet de bord : « Meilleure journée depuis le départ en nombre de milles parcourus. »
Surf à 30 noeuds
(…)Nous naviguons dans un bon vent d’ouest de 30 nœuds qui devrait bientôt forcir. On sera probablement contraints de lever le pied, quitte à ralentir. Malgré la mer démontée, le bateau est vraiment facile à barrer. Dans un surf, nous avons atteint les 29,7 nœuds. Il était temps d’affaler le spi.
MAUVAIS SOUVENIR
ENZA New Zealand a doublé cette nuit le point de longitude où il avait dû faire demi-tour l’an dernier. Un calme étrange régnait à bord : « C’était comme si on marchait sur la pointe des pieds », confie Peter Blake. Pourtant, le vent atteignait les 54 nœuds dans les claques et la mer était démontée. Une sorte de baptême du feu pour ENZA New Zealand.
Par rapport à la position de Bruno Peyron en 1993 au 24ème jour de mer, ENZA New Zealand possède 925 milles d’avance.
CINQUIÈME RECORD
ENZA rafle un quatrième record : Ouessant – Cap Leeuwin en 29 jours, 16 heures 01 minute et 45 secondes. Soit 3 jours, 15 heures, 46 minutes et 15 secondes d’avance sur le record tenu par Bruno Peyron et son équipe sur le même parcours.
À noter aussi, le record n°5, Cap de Bonne Espérance – Cap Leeuwin en 9 jours, 22 heures, 8 minutes et 30 secondes, soit 1 jour, 20 heures, 51 minutes et 30 secondes d’avance sur les hommes de Commodore Explorer.
Enfin, la meilleure nouvelle du jour, annoncée par Robin Knox-Johnston : « Aujourd’hui, Peter a remis son ciré et il est monté sur le pont. On préfère tous le voir à la barre que de nous donner des ordres de sa couchette (d’où il consulte les instruments) , comme par exemple : « Tu n’es pas sur la bonne route » ou « la vitesse tombe » ! »
PATINOIRE
Nouveau record pour ENZA New Zealand : 87,8 milles en 24 heures, soit 3,66 nœuds de moyenne ! « Ici, c’est pire que le pot au noir. Et en plus on ne peut même pas se baigner. La prochaine fois on prendra les patins à glace ! »
BARBES GRISES
Peter Blake :
« En 500 000 milles de navigation (plus de 900 000 kms) parcourus en 30 ans sur toutes les mers du globe, je n’ai jamais rencontré de conditions de navigation aussi mauvaises ; au plus fort de la tempête, nous nous sommes à nouveau mis à sec de toile. Nous nous préparons à mettre les ancres flottantes, toute la chaîne de mouillage ainsi que des cordages par dessus bord pour tenter de freiner le bateau qui va trop vite. Le vent monte à plus de 55 nœuds dans les rafales et les vagues sont hautes de 18 mètres. C’est vraiment extrême. Mais le bateau va bien malgré les « barbes grises » du Horn, ces déferlantes qui le submergent sans cesse.
Même dans ces conditions, Jaws ne perd pas le nord. Quand il est monté sur le pont, il s’est aperçu que rien n’avait été préparé pour le dîner. Il a aussitôt rejoint la coque bâbord où se trouve la cuisine, se faisant sérieusement tremper au passage, pour nous préparer un bon petit repas. Ça fait du bien… »
LA ROUTE DU RETOUR
Peter Blake :
« Vent nord et virements de bord fréquents à la recherche de vents d’est ; Nous sommes en t-shirts et en short ; sacs de couchage rangés, fourrures polaires stockées et nous sommes propres ! Quel bonheur.
Aujourd’hui nous avons recoupé notre route de la descente en 39 jours, 5 heures et 51 minutes, un autre record ! »