Bruno Peyron / Orange

Courses Logs

Près de dix ans après son record inaugural, éperonné par la performance d’Olivier de Kersauson en 1997, Bruno Peyron se lance à nouveau dans le contre la montre de Phileas Fogg. Treize marins, à la manœuvre du maxi catamaran Orange, ne seront pas de trop pour venir à bout de ce tour du monde. Météo impitoyable. Bateau au bord de l’explosion. Récit d’un record à l’arraché… Tout en sang-froid et ténacité.

©Photo Gilles Martin-Raget © Photo Gilles Martin-Raget

Le 2 mars 2002, jour du départ d’Orange sur le circuit du Trophée Jules Verne, rien n’augure une confortable victoire. Les douze hommes(1)(1)Gilles Chiorri, Hervé Jan, Nick Moloney, Yann Eliès, Benoît Briand, Sébastien Josse, Roan Le Goff, Jean-Baptiste Epron, Florent Chastel, Vladimir Dzaldalyndis, Yves Le Blevec, Philippe Péché.  de Bruno Peyron sont inquiets. Déjà éprouvés. La tête de mât de leur maxi catamaran s’est brisée, après trente minutes de navigation, le 14 février, lors d’un premier départ. Orange vient de passer une douzaine de jours à Vannes, aux bons soins du chantier Multiplast, qui a assuré un dépannage express.

Il ne fallait pas perdre plus de temps. Les fenêtres météo optimums sont rares pour gagner rapidement l’équateur et tenter le tour du monde par les trois caps dans les meilleures conditions. Le Grand Sud est plus navigable pendant l’été austral. En dehors de cette période – l’hiver dans l’hémisphère nord – établir un record de vitesse à la voile sous ces latitudes est improbable.

Orange, 33 mètres, est l’ex Innovation Explorer, déjà victorieux sur un parcours similaire à celui du Jules Verne. En 2001, il a conduit Loïck Peyron à la deuxième place de la course autour du monde The Race, créée par son frère ainé. Mais, à bord, même si l’on a confiance dans le bateau, chacun sait trop bien qu’il faudra le choyer. Alors qu’il dépasse la ligne de départ au large de Brest, filant 20 nœuds sous vent de nord-est, dans une mer désordonnée, les treize d’Orange gardent tous un œil sur la tête de mât.

La veille de ce second départ on a appris que Geronimo, le trimaran de Kersauson, faisait demi-tour juste après avoir franchi l’équateur. Avarie de gouvernail. L’amiral, qui voulait battre son propre record, n’a eu d’autre choix que l’abandon.

En douceur à l’équateur

Visant l’équateur, Orange maintient la cadence avec 20 nœuds de moyenne dans un vent de nord-nord est, soufflant bientôt dans l’axe arrière de sa trajectoire.
Ralenti à 80 milles (148 km) de cette première marque géographique, le maxi catamaran laisse le temps de référence Ouessant-équateur(2)(2)7 jours, 4 heures et 24 minutes à ENZA New Zealand skippé par Peter Blake et Robin Knox-Johnston en 1994.
Lorsque Orange entre dans l’Atlantique sud le matin du 10 mars, 7 jours et 22 heures après avoir franchi la ligne de départ du Trophée Jules Verne, Bruno Peyron a une pensée émue pour Peter Blake. Le skipper néo zélandais est décédé tragiquement en 2001, sous les mêmes latitudes.

Le barrage Sainte Hélène

Le 11 mars, Orange glisse le long des côtes sud-américaines et tente une sortie à l’ouest pour contourner l’anticyclone de Sainte Hélène. Mais la zone de hautes pressions remonte l’Atlantique sud, barrant la route aux marins. « L’anticyclone gonfle et gonfle encore et nous ferme la porte d’est en ouest », a prévenu Gilles Chiorri, le navigateur du bord, « on va griller nos premiers jokers sur cette véritable première épreuve… »
À 29°18 de latitude sud, les treize d’Orange espèrent alors prendre de vitesse cet avaleur de vent et le contourner dans son nord. Mais le 15 mars, Philippe Péché, qui inspecte le bateau avant de prendre son quart, aperçoit un objet brillant sur le filet : la têtière de grand-voile ! Les neuf hommes de quart sont mobilisés pour le chantier. Et, cinq heures plus tard, quand le chariot de têtière est réparé, la porte de sortie de l’anticyclone tant espérée est passée.
La seule option face au barrage Sainte Hélène, reste désormais une traversée de la dorsale. Affronter le calme en coupant, cap est-sud est, le centre des hautes pressions, avec en ligne de mire les forts vents d’ouest qui circulent par 40° Sud.

Impitoyable Indien

©Photo Gilles Martin-Raget © Photo Gilles Martin-Raget

Le 21 mars, après 18 jours 18 heures et 40 minutes de mer, dans des conditions si peu propices à l’exploit, Orange établit le temps de référence Ouessant – cap de Bonne Espérance. Il bat ainsi de 23 heures et 13 minutes seulement le record d’ENZA en 1994, avec trois jours d’avance sur Sport-Elec en 1997(3)(3)22 jours 08 heures et 55 minutes.

L’entrée dans l’Indien, par 39° sud, annonce la suite du parcours. « Nous avons eu une mer absolument pourrie cette nuit, lâche Bruno, le 22 mars, nous avons 45 nœuds de vent depuis hier soir ! » 45 nœuds (83 km/h) qui passent à 55 nœuds (102 km/h) le lendemain. Orange surfe à près de 40 nœuds. Et même à sec de toile, il continue à 20 nœuds sous mât seul !
Éric Mas, analyste de Météo Consult, résume la situation : « Derrière Orange, une vaste zone de hautes pressions qui génèrent des vents de sud. Impossible de descendre, surtout en raison de l’état désordonné de la mer. Devant, un «  mur » de dépressions dont l’évolution à la latitude d’Orange ne laisse rien présager de bon pour les prochaines 24 heures. »

Si, dès le 28 mars, le vent devient plus favorable, la mer n’est pas encore totalement orientée dans le sens de la course du bateau. « À 25 nœuds dans le clapot, Orange tape fort », raconte Peyron. Impossible de lâcher les chevaux, sous peine de faire exploser la machine.
Même bridé, le maxi catamaran flirte à nouveau avec les 500 milles (926 km) parcourus chaque jour. Mais c’est au prix d’inquiétantes avaries – explosion de deux lattes de grand-voile, délaminage de carénage de la poutre arrière et fissure de deux cloisons dans la zone d’impact des vagues – et d’un slalom géant à la recherche du système météo idéal. « Nous devons en être à notre troisième système depuis le cap de Bonne Espérance », lâche Hervé Jan, à la vacation du 30 mars.

Encore une fois, en dépit de conditions météo très « casse bateau », Orange empoche un temps de référence : Ouessant – cap Leeuwin, au sud de l’Australie, en 29 jours 07 heures et 22 minutes. Les treize de Peyron comptent un peu plus d’une journée d’avance sur le détenteur du Trophée Jules Verne(4)(4)En 1997, Olivier de Kersauson avait franchi la longitude du cap australien en 30 jours, 14 heures et 30 minutes..

Pacifique express

©Photo Gilles Martin-Raget © Photo Gilles Martin-Raget

Le 5 avril, peu après le passage de l’antiméridien(5)(5)le 180ème méridien, à l’opposé du méridien de Greenwich., par 53° sud, Orange peut infléchir sa course vers le Grand Sud. Il lui faut maintenant trouver un passage pour éviter une zone de calmes entre 50° et 60° sud. Au nord, les vents seront contraires : une méchante dépression tropicale est annoncée. Le  maxi catamaran peut passer dessous, au portant, dans des vents d’ouest forts, avec de belles vitesses favorisées par une longue houle enfin organisée.

L’ivresse retrouvée des grandes vitesses et trajectoires rectilignes – cap direct sur le Horn – est seulement interrompue par un cri d’alarme, le 10 avril : « Iceberg droit devant ! » Philippe Péché, l’homme de barre, distingue à 3 milles (5 km) dans la brume un glaçon de la taille d’un paquebot. Sous trinquette et grand-voile un ris, le maxi catamaran fonce droit dessus. Le radar vient de disjoncter.

Ce ne sont pas les glaçons du Grand Sud qui stopperont la belle progression plein est du géant Orange, mais bien la dépression tropicale qui a mobilisé tous les esprits du bord pendant cette traversée du Pacifique sud. Le 12 avril, par 57° sud, la voici qui « fait sauter le bateau de vague en vague et risque de casser quelque chose », dixit Bruno Peyron. Grand-voile affalée, gennaker enroulé et rangé, tourmentin hissé. « C’est un peu dommage que notre version Pacifique Express s’arrête comme cela, regrette le skipper, mais nous sommes là pour ramener le Trophée Jules Verne et rien d’autre ! ».

Les choix de Bruno Peyron, qui joue la prudence depuis le début du parcours, s’avèrent payants. Le 13 avril, en avance de plus de quatre jours sur le temps de passage d’Olivier de Kersauson en 1997, l’équipage d’Orange franchit sous la pluie la longitude du dernier des grands caps du Trophée Jules Verne, le redoutable Horn.

L’océan Pacifique a été avalé en un temps record : 12 jours 19 heures et 30 minutes. Orange a abattu des journées à 600 milles (1111 km) et plus. Effectué une pointe à 39,7 nœuds. « Il est surtout intact après 42 jours de mer difficiles » se réjouit son skipper.

Bonne Mère, priez pour nous…

©Photo Gilles Martin-Raget © Photo Gilles Martin-Raget

La remontée de l’Atlantique impose aux hommes d’Orange un nouveau cas d’école météo : le franchissement complexe d’un anticyclone, sous la menace directe d’une violente dépression. Pendant huit jours, Orange trace un long bord à l’est, bien plus est que les trajectoires alors dessinées par les coureurs du Jules Verne. La route habituelle est rallongée de 23%. Mais la dépression est belle et bien prise de vitesse, ses vents de 60 nœuds (111 km/h) contournés à 20 milles (37 km) près. L’anticyclone est traversé au plus court. Le 22 avril, Orange est au rendez-vous des alizés de sud est, qui le porteront à l’orée du pot au noir.

Le passage de l’équateur, deux jours plus tard, est l’occasion pour Bruno Peyron d’annoncer une nouvelle beaucoup moins enthousiasmante à son PC parisien : «  La boule en titane de 12 cm de diamètre sur laquelle repose les 1 200 kg du mât et du gréement, avec une compression parfois égale à plus de 60 tonnes, est fissurée dans sa partie inférieure sur une circonférence de 170 degrés. Si elle se brise, le mât tombe. »

Le skipper a décidé de poursuivre l’aventure. La météo s’y prête. Mais pour espérer ramener le bateau entier à Brest, le près est désormais prohibé et il faudra à tout prix éviter de naviguer contre la houle. À bord, on compte aussi sur la chance, entre autres alliés des marins… « Dites à nos amis Marseillais de mettre un cierge à la Bonne Mère pour notre pied de mât ! », lance Bruno Peyron, lors de vacation radio 26 avril.

La sainte patronne de Marseille, port d’accueil d’Orange, a-t-elle entendu la requête du skipper baulois ? Le bateau tient la mer, engrange ses 460 milles (851 km) quotidiens et fonce plein nord vers l’archipel des Açores, contournant par l’ouest l’anticyclone du même nom. Il peut même raccourcir la route suivie en 1997 par Olivier de Kersauson.

Aux urnes les marins !

À terre, un autre duel est en train de se jouer : la course à l’Élysée. Le dimanche 5 mai, Jacques Chirac affrontera au deuxième tour de l’élection présidentielle, le candidat d’extrême droite. La France est dans la rue. « En tant que marins, amoureux de la nature et de la liberté, on ne peut qu’ajouter un peu de force à ceux qui étaient dans la rue ces derniers jours… Nous faisons tout notre possible pour être à Brest dimanche et pouvoir ainsi aller voter », promet Bruno Peyron.

Le 4 mai, c’est la dernière ligne droite. Orange cavale, cap sur Ouessant, à 25 nœuds, bâbord amure, sous grand-voile haute et solent.
La veille, dernière frayeur, le grand gennaker a explosé en lambeaux.
Dans la nuit du 4 au 5 mai, dernière épreuve météo, le maxi catamaran est piégé dans les calmes à 150 milles (277 km) du point final de son tour du monde.

Les treize d’Orange étaient partis inquiets pour la tête de mât, ils reviennent préoccupés par son pied… Mais c’est un bateau quasi indemne qui franchit la ligne d’arrivée du Trophée Jules Verne le 5 mai, à 16 heures, 13 minutes, 45 secondes. Durant 64 jours, 08 heures, 37 minutes et 24 secondes, Bruno Peyron et ses équipiers n’ont jamais cédé au doute. À 18,15 nœuds de moyenne, ils ont établi un nouveau temps référence sur le parcours Ouessant – Ouessant via les 3 grands caps, soit 28 035 milles (52000 km). Ils battent le précédent record d’Olivier de Kersauson de 7 jours, 5 heures, 44 minutes et 44 secondes.

Et le skipper breton de conclure, beau joueur : « C’est une belle page de sport qu’Orange vient de tourner. Pour réussir une entreprise comme le Trophée Jules Verne, il faut une bonne équipe, un bon bateau et bien savoir le préserver. Bruno Peyron a su le faire. L’époque des 27 mètres est terminée. C’est le début d’une nouvelle compétition et elle durera longtemps. »

INFOS
Trophée
64
Jours
8h | 37min | 24s
2002
Départ
2002-03-02 GMT
Arrivée
2002-05-05 GMT
Distance
28035 NM
Vitesse moyenne
18.15 Kn
Skipper
Bateau
Radio
Date
2002-03-07
Heure
14H00
Latitude
12°32 N
Longitude
26°29 W
Éviter les pièges
+

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Histoire
Date
2002-03-17
Heure
14H00
Latitude
35°26 S
Longitude
18°18 W
Bonne brise (force 5)
Le cousin de Sainte Hélène
+

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Radio
Date
2002-03-25
Heure
8H00
Latitude
42°24 S
Longitude
53°31E
Coup de vent (force 8)
anticyclone et dépressions
+

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Histoire
Date
2002-03-29
Heure
8H00
Latitude
46°28 S
Longitude
91°5 E
Coup de vent (force 8)
Grand Sud classique
+

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Histoire
Date
2002-04-09
Heure
8H00
Latitude
54°18 S
Longitude
131°48 W
À l’attaque !
+

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Radio
Date
2002-04-29
Heure
8H00
Latitude
20°01 N
Longitude
34°14 W
Ciel bleu et cauchemars
+

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Histoire
Date
2002-05-05
Légère brise (force 2)
Scotché
+

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