Bruno Peyron / Commodore Explorer

Courses Logs

À bord de Commodore Explorer, le plus grand catamaran de sa génération, Bruno Peyron ouvre la voie avec un tour du monde magistral, en moins de 80 jours. Personne n’avait tenté l’aventure, encore moins sur une telle monture. Le Baulois et ses quatre hommes d’équipage relèvent le défi de Phileas Fogg(1)(1) Pin’s collector ! TJV_COURSES_Commodore_badge. Contre eux, ils ont de redoutables concurrents et les conditions extrêmes des plus féroces mers du globe.

Ouessant, samedi 30 janvier 1993. À 14 heures, deux minutes et 27 secondes, sous grand voile haute et foc solent, Commodore Explorer passe la ligne de départ… Avec sept heures de délai. Peter Blake et Robin Knox-Johnston, à bord de leur catamaran ENZA New Zealand, sont partis au petit matin, eux aussi à l’assaut du Trophée Jules Verne. Ce départ décalé fournira à Bruno Peyron et à son équipage une magnifique opportunité de se dépasser. Il faut courir après les « kiwis ».

Samedi 30 janvier. Peter Blake, Robin Knox-Johnston et Bruno Peyron consultent les derniers relevés météo quelques heures avant de quitter Brest. Sir Peter Blake Trust of NZ © Christian Février

Les deux concurrents talonnent aussi Olivier de Kersauson, qui a entamé son tour du monde cinq jours plus tôt, à bord du trimaran Charal. « Kersau » ne se prête pas au jeu de ses petits camarades. Il a fixé ses propres règles. Il court hors Trophée. Mais le capitaine breton est déterminé à descendre sous la barre des 80 jours et à rafler le record.

Aussi résolu, Bruno Peyron affiche pourtant une grande prudence. Quel sera le comportement d’un catamaran géant dans les mers et la météo des hautes latitudes ? Commodore Explorer est l’ex-Jet Services(2)(2)En 1993, à l’époque où Bruno Peyron l’achète, Jet Services V est le catamaran le plus rapide du monde, avec le record de traversée de l’Atlantique en 6 jours et 13 heures. « tourdumondisé », porté à 26 mètres. Une « machine à fabriquer du vent », taillée pour la course mais très difficile à freiner et… Plus stable à l’envers qu’à l’endroit. L’architecte de la « fusée bleue » a conçu les flotteurs comme deux caissons de survie, où l’équipage pourrait passer un mois, en cas de retournement.

Pour Bruno Peyron, le Trophée Jules Verne est un terrain d’étude en vue de l’élaboration du « catamaran de l’an 2000 », son rêve de 40 mètres de long. Seuls objectifs avoués : revenir à Ouessant en ayant fait le meilleur temps et battu le dernier record établi. Celui, très accessible, de Titouan Lamazou, sur monocoque et en solitaire, qui a bouclé son tour en 109 jours. Enfin, il s’agit avant tout ramener le bateau à bon port et, surtout, les hommes!

Les équipiers de Commodore Explorer. Marc Vallin, Jacques Vincent, Bruno Peyron, Cam Lewis, Thomas Coville (qui n'était pas à bord de Commodore Explorer lors de cette tentative du Trophée Jules Verne), Olivier Despaigne. La dream team de Commodore Explorer: Marc Vallin, Jacques Vincent, Bruno Peyron, Cam Lewis, Thomas Coville (qui n’était pas à bord de Commodore Explorer lors de cette tentative du Trophée Jules Verne), Olivier Despaigne. © Photo Jacques Vapillon.

Record à l’équateur

« Nous ne sommes pas trop de cinq pour faire le boulot quotidien », confie Bruno Peyron, quatre jours à peine après avoir largué les amarres, « nous avons tendance à mener Commodore Explorer comme pour un Grand Prix qui d’ordinaire « consomme » une dizaine de solides gaillards. » À bord d’ENZA, ils sont sept, donc plus lourds mais moins vite usés par l’effort. Pourtant, dans le duel tactique qui s’est engagé entre les deux catamarans, Commodore Explorer reprend vite l’avantage, dès la descente de l’Atlantique.

Tandis que Peter Blake et Robin Knox-Johnston serrent la côte africaine, empruntant ainsi la route la plus courte, Bruno Peyron trace sa courbe bien plus à l’ouest, en quête d’un souffle d’est. Le catamaran bleu file bientôt à 20 nœuds vers le sud, vent de travers, son allure favorite. Les « Commodore boys », désormais en tête, traversent le pot au noir(3)(3)Le Front inter tropical ou « pot au noir » est une zone nuageuse aux abords de l’équateur, caractérisée par un régime de vents très capricieux, variant du calme plat aux soudaines rafales à plus de 30 nœuds (55km/h). sans trop de difficultés. Le 9 février, le « Magic Team » de Peyron franchit l’équateur, raflant son premier record(4)(4)Manche – Équateur en 8 jours, 19 heures, 25 minutes et 45 secondes..

© Photo Christian Février © Photo Christian Février

Peyron en enfer

Depuis le départ de Brest, le lecteur de cartes météo du bord est en panne. La liaison radio BLU n’est pas toujours fiable. Bruno Peyron doit se fier à son intuition et ne peut s’appuyer que sur des prévisions écrites, reçues quotidiennement par télex. À l’approche du Grand Sud, Météo France annonce un vent soufflant en tempête jusqu’à 50 nœuds (92 km/h). Rien que de très normal dans les quarantièmes rugissants où navigue Commodore Explorer, le 17 février. Seulement, l’alerte aux icebergs est lancée très tôt par Kersauson, qui ne devance alors ses poursuivants que de 450 milles (830 km). Un growler, un glaçon dérivant, vient de déchirer l’un des flotteurs de Charal, contraint d’abandonner. Peter Blake et Robin Knox-Jonhston poursuivent leur route vers l’est, évitant de s’aventurer au-delà du 38ème parallèle. Malgré le champ de mines en perspective, Peyron, toujours en tête, tente encore de gagner du temps et quelques degrés au sud… Trop sud.

« Enfer initiatique. Brutal. Violent. Puissant. Démesuré ! Il n’y a pas de qualificatifs précis pour exprimer ce qui se passe ici en ce moment », écrira Bruno Peyron par 42° Sud, « nous avons changé d’échelle et de planète. Commodore Explorer est sans doute le plus grand catamaran, mais ici il n’existe pas… Chavirage évité de justesse… ». Des vagues géantes ouvrent des gouffres sous les étraves de Commodore Explorer lancé à 30 nœuds dans la tourmente. Les hommes de Peyron luttent quarante heures durant pour tenter de maitriser le monstre. Ces marins expérimentés n’ont jamais connu de mer aussi violente. Le bateau, à sec de toile, s’en tire sans grosses avaries. Un miracle. Mais pour l’équipage, l’épreuve est énorme. Il mettra plusieurs semaines à s’en remettre.

Seul en course

En doublant le cap de Bonne espérance, le 22 février, Bruno Peyron s’autorise à nouveau à croire au Trophée. Après l’entrée fracassante dans les quarantièmes, et en dépit de quelques avaries à réparer en route, Commodore Explorer engrange les milles – 466 milles (863 km) le 25 février – volant ceux à nouveau perdus sur ENZA. La régate des géants reprend de plus belle.

Mais le 27 février, le catamaran néo-zélandais heurte un objet flottant non identifié. Le coup est fatal, Blake et Knox-Johnston abandonnent à leur tour pour faire route vers l’Afrique du sud. Il s’en faut de peu pour que Commodore Explorer les rejoignent. La veille, une vague particulièrement violente par le travers a percuté le bordé tribord. Le chantier a duré toute la nuit. La voie d’eau est finalement colmatée.

Après 33 jours de mer, 8 heures et 46 minutes, le dernier catamaran en lice dépasse, par 50° Sud, la longitude du cap Leeuwin, au large de l’Australie. Un record inédit que le PC de Bruno Peyron classe dans le sillage immédiat des grands clippers du XIXème siècle.
La météo est plus clémente à l’entrée dans le Pacifique. À la vitesse moyenne de 16 nœuds, Commodore Explorer gagne encore quelques degrés vers le continent Antarctique et se rapproche du 56° Sud, la longitude du cap Horn. La prochaine épreuve.

Les gueules du Horn

« Sommes toujours debout, écrit Bruno Peyron dans son carnet de bord à la date du 22 mars, et pourtant 45 nœuds de Sud dans la gueule à l’approche du cap Horn, il paraît que ça n’arrive que 10% du temps… » Deux dépressions se sont donné rendez-vous dans la zone, la fenêtre météo est étroite et changeante. Rattrapé par des vents à 70 nœuds (130 km/h) en rafale, Commodore Explorer, qui menace d’exploser en vol, est mis à la cape sèche(5)(5)Travers au vent et aux vagues, sans voiles.. « À l’intérieur tout s’organise en prévision d’un éventuel chavirage, décrit le skipper, nous dérivons à 4 nœuds dans le 70. Donc vers la côte. Nous sommes à moins de 100 milles (185 km) de la côte. Pas good. »

Plus de peur que de mal… Encore une fois, le bateau et les hommes tiennent. Le 25 mars, à la faveur d’une « accalmie » – des vents à 45 nœuds (83 km/h) – et après 53 jours de navigation, ils doublent enfin le cap Horn.
Le défi est aussi l’occasion de tester les nouvelles technologies embarquées. À bord et à terre on se félicite de la prouesse : une photo des « gueules du Horn » est transmise à Paris via satellite(6)(6) TJV_COURSES_Commodore_vsd ! Pour tout savoir sur Commodore Explorer, les fans peuvent aussi taper 3615 France Inter…

Adieu Trophée ?

Passé le Cap Horn, restent 9000 milles (16 668 km) avant d’atteindre Ouessant, soit un tiers du parcours. Pour espérer couper la ligne d’arrivée dans les temps, avant le 21 avril, Commodore Explorer doit tenir une moyenne de 14,5 nœuds. Mais le catamaran, conçu pour foncer au portant, est contre performant dans une remontée au vent. Or le retour dans l’Atlantique commence par une dizaine de jours de près, jusqu’à la pointe nord est du Brésil. Après le Brésil, le contournement de l’anticyclone des Açores par l’ouest, rallonge le parcours. Le 10 avril, Commodore Explorer, à nouveau lancé à 17 nœuds, entre en collision avec deux baleines. Le 16 c’est une bille de bois qui vient écraser l’étrave. Le bateau encaisse les coups, l’équipage tâche de garder le moral quand la vitesse moyenne quotidienne retombe à 4 nœuds. Trois jours avant l’arrivée, le skipper dit encore douter de sa capacité à gagner le pari de Phileas Fogg. Comme on éloigne la malchance, Peyron ne cesse de répéter « ce n’est pas une priorité ».

L’espoir renaît le 17 avril: Commodore Explorer s’offre un dernier sprint, à 21 nœuds de moyenne et avale 507 milles (938 km) en une journée. Rien ne l’arrêtera plus, pas même l’ultime tempête qui cueille les « boys » aux abords de la Bretagne.
Le 20 avril 1993, le catamaran bleu franchit la ligne d’arrivée du Trophée Jules Verne(7)(7)Pour un récit détaillé du périple de Bruno Peyron : Ghislaine Otthenheimer, Bruno Peyron et Yves-Marie Maquet, Bruno Peyron, le récit d’une victoire, Hachette/ Carrère éditions, 1993., sous le monumental Créac’h, le phare ouest de Ouessant. Le « Magic team » de Bruno Peyron vient de pulvériser le record de vitesse autour du monde et… De gagner son pari, en 79 jours, 6 heures, 15 minutes et 56 secondes(8)(8) TJV_COURSES_Commodore_lequipeTJV_COURSES_Commodore_figaro  .
Peter Blake et Robin Knox-Johnston sont déjà décidés à faire mieux. Olivier de Kersauson prépare lui aussi sa revanche…

Arrivée de Commodore Explorer devant le phare du Créac'h à 19h 18' 23" © Photo Christian Février Arrivée de Commodore Explorer devant le phare de Créac’h à 19h 18′ 23″ © Photo Christian Février

INFOS
Trophée
79
Jours
6h | 15min | 56s
1993
Départ
1993-01-30 14:02 GMT
Arrivée
1993-04-20 19:18 GMT
Distance
27372 NM
Vitesse moyenne
14.39 Kn
Skipper
Bateau
Telex
Date
1993-02-18
Heure
1993-02-18
Latitude
49° 29’S
Longitude
49° 29’S
Cap
10
Distance
1760
Vitesse
30
Tempête (force 10)
Objectif survie
+

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Carnet
Date
1993-02-04
Latitude
26° 46’N
Longitude
18° 05’W
Cap
190
Distance
1442
Vitesse
17
Petite brise (force 3)
Piège sous les tropiques
+

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Radio
Date
1993-02-26
Latitude
41° 15 S
Longitude
55° 05 E
Bonne brise (force 5)
Heureux événements
+

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Radio
Date
1993-04-13
Heure
12h53
Latitude
20°41 N
Longitude
41° 51 W
Cap
330
Ramener le bateau
+

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