Le premier quart du tour du monde

Alexia Barrier
Trophée Jules Verne 2024/2025


Créé le:
13 décembre 2025 / 10:35
Modifié le:
13 décembre 2025 / 10:35

Routeur, météorologiste, stratégiste, Christian Dumard est surtout un passionné de navigation à la voile. Conseiller météo sur plus d’une dizaine de tentatives de records du tour du monde, en plus de ses conseils auprès d’organisateurs de pas moins de 3 Vendée Globe, 3 Ocean races et 2 Golden Globe, il est, pour les navigatrices de The Famous Project CIC, la voix de la terre qui aide Alexia (Barrier), Dee (Caffari), Annemieke (Bes), Rebecca (Gmür Hornell), Deborah (Blair), Molly (LaPointe), Támara (Echegoyen) et Stacey (Jackson) à décrypter et à déchiffrer la meilleure route pour tourner autour du globe à bord d’un Maxi Trimaran de course au large.

Alors que The Famous Project CIC aborde dans d’excellentes conditions la fin hautement symbolique de la première phase Atlantique de son parcours du Trophée Jules Verne, Christian voit son respect et son admiration pour cet équipage 100% féminin croitre au fil des milles. Son approche toute en humilité et en prudence raisonnée s’avère au regard de l’immensité du challenge, la seule et bonne manière pour ambitionner de « boucler la boucle », et devenir le premier équipage entièrement féminin à finir un tour du monde en équipage et sans escale, avec le meilleur chrono possible.

Une entrée en matière raisonnée

Tandis qu’Alexia, Dee et les équipières en terminent avec leur deuxième semaine en mer, plusieurs vérités s’imposent à l’observateur, qui viennent donner à cette aventure hors norme toute sa saveur et toutes ses épices. Jamais cet équipage récemment concocté, n’a navigué aussi longtemps ensemble à bord d’IDEC SPORT. Seules trois de ces femmes ont l’expérience du grand sud, aucune à bord de maxi multicoque. Rarissimes sont celles à avoir navigué en course, en multicoque, autour du monde, et on pense naturellement à Tracy Edwards et ses équipières du catamaran Royal et Sun Alliance, contraint à l’abandon à mi-parcours. Dona Bertarelli sur Spindrift et Dame Ellen McArthur sur le trimaran B&Q Castorama peuvent, elles, se targuer d’en avoir terminé avec un tour du monde en multicoque. « Entrer prudemment dans ce tour du monde relève de la simple intelligence de mer » souligne ainsi Christian Dumard. « Toutes ces navigatrices font preuve d’un grand professionnalisme et d’une prudence mesurée sur ce type de bateau exceptionnel, au regard de l’âge vénérable de ce trimaran lancé en 2006, et au regard de leur ambition de finir cette course. Je suis très admiratif de leur capacité à mettre le curseur au bon endroit et de leur incroyable sérénité. C’est le tour du monde de la bienveillance, du vouloir bien faire, du partage, dans le calme et la bonne humeur mais aussi de la sportivité. Elles prennent le temps d’entrer dans leur course et de prendre toute la mesure de cet incroyable bateau que peu de marins ont su maitriser. Elles progressent chaque jour, chaque mille un peu plus et s’enhardissent sans s’affoler et sans excès. Elles prennent toute la mesure des potentialités, des spécificités du bateau, de ses limites aussi, et vont progressivement, à leur main, le solliciter chaque jour davantage. C’est là une approche très intelligente, qui préserve les organismes et le matériel. »

A la table des Grands…

Alexia le répète à l’envi, les 7 navigatrices et elle-même se sont invitées à la table des grands, sur un Trophée Jules Verne qui n’a vu que d’immenses marins oser tenter de se l’approprier, Peter Blake, Steve Fossett, Olivier de Kersauzon, Bruno Peyron, Franck Cammas, Thomas Coville, Francis Joyon… « Nous naviguons sur les épaules des géants » murmurait avec humilité Alexia Barrier. Leur progressive montée en puissance relève d’un calcul, d’une réflexion assumée. « La mise en route dès le départ a été lente » admet Dumard, « mais justifiée par un état de mer « casse bateau », 4 à 5 mètres de creux dans lesquels elles n’ont pas voulu prendre le moindre risque. Bien leur en a pris et elles ont pu bénéficier ensuite d’un alizé version tranquille, parfait pour continuer leur entrée en matière. Certes, le pot au noir s’est agrandi sur leur passage, et leur a fait subir toute une journée au ralenti. L’alizé de sud-est s’est montré très modéré et l’équipage a pu poursuivre leur apprentissage du bateau, de la longue vie en communauté, et se projeter dans cette première grosse réalité de leur tour du monde, l’entrée dans les régimes perturbés du grand sud. Un enchainement des plus favorable se présente à elles pour rallier le sud du continent africain, dans la nuit de dimanche à lundi prochain, au terme d’environ 16 jours depuis Ouessant. »

L’entrée dans le Grand Sud

C’est déjà la réalité pour l’équipage de The Famous Project CIC en cette fin de deuxième semaine, l’entrée dans les latitudes australes, le « pays de l’ombre » dont elles n’émergeront qu’en parant le Cap Horn, d’ici 3 à 4 semaines.  Le schéma météo immédiat montre des signes de divergence, ce qui laisse penser que le vent va osciller en force. Une ligne de nuages visible sur les images satellites se trouve exactement sur la route du bateau. Les rafales sous ces nuages sont plus fortes que le vent établi, incitant à la plus grande vigilance. L’approche du Cap de Bonne Espérance présente d’emblée un choix de route très marqué, entre une route « normale » au sud, et une route « conservatrice » au nord. L’équipage et les routeurs s’accordent pour rester au nord pendant les 24 à 48 heures à venir afin d’éviter les vents « très forts » et les rafales plus au sud à plus de 60 noeuds. L’option sud est plus rapide mais jugée trop extrême pour un premier contact avec une dépression du sud. La route conservatrice au nord est privilégiée pour réduire la hauteur des vagues et la charge sur le bateau, permettant à l’équipage d’entrer progressivement dans ces nouvelles conditions. A noter, le courant des Aiguilles* est à surveiller de près. Il convient d’éviter les situations où le vent serait contraire au courant, ce qui lèverait une mer dangereuse.

Dans les jours à venir, l’équipage vise à dépasser les vitesses prévues par le routage, de choisir la voile idéale pour le vent variable en journée et prévoir un changement afin d’anticiper un éventuel renforcement du vent ou une visibilité réduite.

*Le courant des Aiguilles est un courant marin de l’océan Indien. Il tire son nom du cap sud-africain des Aiguilles. Il s’écoule le long de la côte est sud-africaine, vers le sud-ouest, et est par endroit mesuré à plus de 4 noeuds.



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