Loïck Peyron : « Les records m’ont toujours fasciné »

Loïck Peyron


Créé le:
2 January 2017 / 12:00
Modifié le:
31 January 2017 / 11:38

Dès sa première tentative, en 2012, Loïck Peyron signait un nouveau record dans le Trophée Jules Verne. A la barre du maxi-trimaran Banque Populaire V, le marin nantais bouclait son tour du monde en 45 jours 13 heures 42 min et 53 secondes, un record que Francis Joyon tente actuellement de battre. Celui qui a notamment remporté une Route du Rhum, 3 Transats anglaise et 2 Transats Jacques-Vabre revient sur son expérience dans le Jules Verne. Une expérience qu’il n’exclut pas de retenter si son record venait à tomber.

©B.Stichelbaut / BPCE
©B.Stichelbaut / BPCE

 

Quel est votre meilleur souvenir dans le Trophée Jules Verne ?

C’est l’arrivée ! Pour une course, contre d’autres concurrents, il est décevant de ne pas gagner mais ça arrive tout le temps. On en perd plus qu’on en gagne mais il n’empêche que ça fait des bons souvenirs quand même. Les records, j’en ai très peu tenté dans ma vie de marin mais j’ai eu la chance : ça m’a souri à chaque fois, immédiatement, dès la première tentative. Dès lors, je n’ai pas vécu la frustration de beaucoup de mes collègues de bureau qui ont souvent tenté et pas toujours réussi du premier coup. Par ailleurs, l’arrivée sur le Trophée Jules Verne est d’autant plus grande qu‘elle est collective, partagée, avec ceux qui étaient à bord.

Quel est votre pire souvenir ?

Tout s’est relativement bien passé pour moi même si ce n’est pas facile tous les jours et qu’il y a des moments de stress. Quoi qu’il en soit, mon pire souvenir reste la glace, les icebergs. Cela génère de la peur et de la fascination à la fois. J’ai eu la chance d’en voir beaucoup lors de mon premier Vendée Globe. A l’époque, il n’y avait pas de limite sud, comme encore aujourd’hui sur le Jules Verne. On se créé alors ses propres limites. Il faut bien comprendre que, quand on est tout seul à bord, on est le seul maître de ses décisions et on est responsable uniquement de soi. Dans ces cas-là, la prise de risque ne génère a priori pas de dégâts collatéraux. Mais quand on est skipper avec 13 autres personnes à bord, on a la responsabilité de ramener le bateau et les bonhommes. Et ça, c’est un poids beaucoup plus difficile à porter. Quand on se retrouve dans des situations compliquées, ce n’est pas simple à vivre intérieurement mais il ne faut pas trop partager ses inquiétudes car le but du leader est de faire que tout se passe bien, sans angoisse.

Racontez-nous votre Trophée Jules Verne …

Les records m’ont toujours fasciné même si je me suis concentré depuis le début de ma carrière dans la compétition contre les autres plutôt que contre l’horloge. C’est plutôt mon grand frère qui s’est spécialisé dans ce domaine. Ce qui m’a toutefois décidé à participer au Jules Verne, c’est qu’on est venu me chercher. Il faut rappeler que je suis arrivé comme un cheveu sur la soupe, comme un chef d’orchestre qu’on change au dernier moment. C’était Pascal Bidegorry qui avait initié cette belle histoire, la création de ce bateau et de l’équipage. Il y avait un bateau exceptionnel, une équipe parfaitement bien préparée et entraînée. Je n’ai eu qu’à mettre en œuvre tout son travail. Je le dis souvent : je n’ai été qu’une petite salière sur la table. Aujourd’hui, quand je repense à mon premier jour sur le Jules Verne, je pense que cela a peut-être été le moment le plus délicat. J’avais embarqué à bord de Banque Populaire, au large de Lorient, en étant sorti du port de la manière la plus secrète possible parce qu’à l’époque il y avait un petit buzz autour de la personne qui allait remplacer Pascal. Ca a été le moment le plus délicat humainement à vivre car même les équipiers à bord ne savaient pas qui allait arriver. Fort heureusement, ça s’est passé formidablement bien !

Aujourd’hui, que préférez-vous : naviguer en solitaire ou en équipage ?

Les deux. Je n’ai aucune préférence. Je suis l’un des rares marins à avoir la chance d’avoir autant d’activités différentes, d’être détenteur d’un Jules Verne avec mes copains de Banque Pop’, de barrer un bateau en finale d’une Coupe de l’America … J’ai une chance incroyable, je le sais. Après, cela reste un travail considérable. Ma grande spécialité, c’est d’être généraliste.

Que représente le Trophée Jules Verne pour vous ?

C’est très symbolique et c’est aussi une histoire qu’on pourrait qualifier de « familiale » car mon frère et moi avons battu le record 4 fois.

Pensez-vous refaire le Jules Verne un jour ?

Il faut être battu pour y retourner. Dans le domaine de la voile, c’est comme ça, on attend d’être battu pour retourner au charbon. Si les conditions météo sont parfaites, il ne fait aucun doute que le record sera amélioré. Après, je dois dire que le bonheur d’un Jules Verne réside aussi dans sa préparation. Ce que je n’ai pas eu la chance de vivre. Je n’ai de cesse d’ailleurs de dessiner pour moi et pour d’autres des engins du futur. Mais quelque soient les engins du futur, nous serons toujours tributaires de la météo. Et cela fait du Jules Verne un sacerdoce un peu frustrant. Ce qui pourrait me freiner, c’est justement ce long cheminement au bout duquel on n’est pas sûr de réussir, ni même de pouvoir partir.

Avez-vous un message pour Francis Joyon qui est actuellement engagé sur le Jules Verne ?

Oui, qu’il fasse bien ! Je suis toujours impressionné par sa manière de naviguer car il attaque comme un malade, tout le temps. Là, ils ont des conditions vraiment parfaites. Maintenant, à tous les futurs marins qui s’engageront sur le Jules Verne, je dis qu’il faut battre ce record. La barre sera de plus en plus haute, c’est sûr, mais un record est définitivement fait pour être battu.

 

Propos recueillis par Isabelle Trancoen