Franck Cammas / Groupama 3

Courses Logs

Cinq ans après la performance historique de Bruno Peyron, l’équipage de Franck Cammas affronte le chronomètre sur les trois océans. Objectif : le monde en moins de 50 jours. Le jeune skipper vient d’essuyer deux revers sur le parcours. De mornes calmes en sprint soudains, son troisième essai le mènera à la victoire.

2004 : Groupama annonce la création d’un trimaran géant destiné à battre les records à la voile historiques et, en guise de bouquet final, le Trophée Jules Verne(1)(1)Le Monde en 48 jours, Luc Le Vaillant, Dominic Bourgeois, Yvan Zedda, Mer&Découverte éditions, 2010..
Le calendrier prévu par le sponsor est serré. Le défi commence dès lors. Les architectes Marc van Peteghem et Vincent Lauriot-Prevost sont chargés de dessiner, en un an et demi, le nouveau prototype et le chantier Multiplast – dont sont issus la plupart des vainqueurs du Trophée – de le construire.
Dès juin 2006, Groupama 3 est prêt. C’est un trimaran de 31,5 mètres, plus court que les maxi catamarans qui courent sur le circuit depuis près d’une décennie, mais aussi plus léger, réactif et plus facile à mener par dix équipiers, par quarts de trois sur le pont.

Le champion de Groupama, Franck Cammas, est un petit génie de la voile de compétition. S’il n’a jamais croisé le cap Horn et ignore tout des mers du sud, ses équipiers(2)(2)Équipage : Franck Cammas, Fredéric Le Peutrec et Stève Ravussin (chefs de quart); Lionel Lemonchois, Loïc Le Mignon et Thomas Coville (barreurs); Ronan Le Goff, Jacques Caraës et Bruno Jeanjean (équipiers d’avant) et Stan Honey (navigateur). Sylvain Mondon de Météo France pour le routage à terre. comptabilisent 13 tours du monde et quatre d’entre eux sont détenteurs du Trophée Jules Verne : Thomas Coville avec Olivier de Kersauson en 1997 ; Jacques Caraës, Ronan Le Goff  et Lionel Lemonchois, avec Bruno Peyron en 2002 et 2005.

Après une mise en jambe musclée, quatre records conquis dans l’Atlantique(3)(3)Route de la Découverte, mai 2007 : 7 jours, 10 heures, 58 minutes et 53 secondes ; Miami-New-York, juin 2007 : 1 jour, 11 heures 5 minutes et 20 secondes à 27 nœuds de moyenne ; distance parcourue en 24 heures, juillet 2007 : 794 milles à 33,08 nœuds de moyenne ; et traversée de l’Atlantique, juillet 2007 : 4 jours, 3 heures, 57 minutes, 54 secondes à 28,65 nœuds de moyenne. et un en Méditerranée(4)(4)Traversée de la Méditerranée, mai 2009 : 17 heures, 8 minutes, 23 secondes, à 26,4 nœuds de moyenne., les dix équipiers de Groupama 3 se lancent à l’assaut du Trophée Jules Verne. Deux fois, ils sont forcés d’abandonner, alors que Groupama 3 avait engrangé les milles d’avance sur Orange II et amélioré plusieurs temps de référence intermédiaires. Le 18 février 2008, le trimaran se retourne au large de la Nouvelle-Zélande. Le 29 décembre 2009, un flotteur se fissure au large de l’Afrique du Sud. L’avarie est impossible à réparer en mer.
La déception est immense. Les hommes de Cammas savent qu’ils repartiront vite, mais non sans appréhension.

26 avril 2008, arrivée du maxi trimaran Groupama 3 à Lorient après son chavirage lors de sa première tentative. ©Yvan Zedda / Groupama Team 26 avril 2008, arrivée du maxi trimaran Groupama 3 à Lorient après avarie lors d’une première tentative. ©Yvan Zedda / Groupama Team

Pari gagnant

Le troisième départ est soudain. Groupama 3 franchit la ligne Ouessant – Cap Lizard dès le 31 janvier 2010, à 13 heures 55 minutes et 53 secondes (GMT). Les conditions météo ont été très peu propices en ce début d’année. Il faut profiter d’une fenêtre optimale, mais loin d’être idéale, pour attraper l’équateur en moins d’une semaine et bénéficier d’une salutaire dépression au large du Brésil. En fait, l’enchaînement relève du pari, car les prévisions ne sont plus certaines au-delà de sept jours.

©Yvan Zedda / Groupama Team ©Yvan Zedda / Groupama Team

La première et principale incertitude est levée, lorsque la pointe espagnole du cap Finisterre est doublée en moins de 24 heures. « Nous naviguons sous gennaker et grand voile haute sur une mer calme qui nous permet de bien glisser, s’enthousiasme Franck Cammas le 1er février, nous avons réussi à franchir ce passage délicat au nord du cap Finisterre où il ne fallait pas être en retard au risque de se faire bloquer dans l’anticyclone : la première barrière est derrière nous ! »
Au-delà, Groupama 3 progresse vite et bien dans les alizés et parvient à s’affranchir d’un stationnement prolongé dans la pétole du pot au noir. L’équateur est coupé en 5 jours, 19 heures et 7 minutes, soit 3 heures et 44 minutes de moins que le meilleur temps réalisé jusqu’alors sur cette tranche du parcours par… Groupama 3, en novembre 2009 !

Bulles

Groupama 3 assure 22 nœuds de moyenne depuis le départ de Ouessant et cavale avec plus d’une journée d’avance sur le détenteur du Trophée Jules Verne. Seulement, l’anticyclone de Sainte Hélène, principal barrage de l’Atlantique sud, étend très haut en latitude une large zone de calmes. Cammas et ses hommes sont contraints de contourner le phénomène en se rapprochant des côtes brésiliennes. La vitesse du trimaran ne diminue pas – Groupama 3 réalise souvent des pointes à plus de 30 nœuds – mais cette courbe à l’ouest rallonge son parcours.

Les dix équipiers tentent un chemin de traverse dès le neuvième jour de mer. Sans succès. Piégés, il leur faut attendre une dépression venant des côtes d’Amérique du sud et qui ne vient pas. Pour ne rien arranger, l’anticyclone de Sainte Hélène s’éparpille en s’effilochant et sème des bulles anticycloniques sur la trajectoire du bateau. Au douzième jour de mer, Orange II alors devancé passe virtuellement devant Groupama 3. Par 37 degrés de latitude sud, les vents sont toujours instables, la vitesse moyenne du trimaran tombe entre 8 et 14 nœuds.
Groupama 3 retrouve enfin le vent au large de l’archipel de Tristan da Cunha, longitude 12°19 Ouest, et file soudain à 35 nœuds sur une mer plate. Cap sur l’océan le plus redouté du parcours.

©Groupama Team

©Groupama Team Stève Ravussin et Thomas Coville. ©Groupama Team

Coup de frein et accélération

Le trimaran de Cammas n’accuse plus que sept heures et demie de retard sur Orange II lorsque le cap de Bonne-Espérance est franchit, puis le 15 février, après 14 jours, 15 heures et 47 minutes de mer, celui des Aiguilles qui marque l’entrée dans l’océan Indien.
Alors que les dix équipiers attendent un bon flux de nord ils sont contraints de ralentir la cadence. Coup de frein caractéristique de ce tour du monde par à coups, le vent faiblit à moins de 10 nœuds (18 km/h), la vitesse du bateau chute à 20 nœuds. Groupama 3 est de nouveau pris au piège et tente de s’échapper en enchaînant les changements de cap.
« Les systèmes météo nous emmènent sur une trajectoire assez nord, précise Franck Cammas par radio, le 17 février(5)(5)Transcriptions de vacation radio, statistiques et récit de course détaillé sur www.fralo.info, par 42°Sud, mais ce n’est pas si mal pour éviter les icebergs qui se situent du côté des Kerguelen. Nous n’avons pas pris le risque de plonger plus au sud car on pouvait se retrouver avec une dépression sur notre bâbord, avec des vents contraires, et ça, ce n’est pas bon du tout ! Mais notre choix nous impose de maintenir des moyennes élevées pour rester dans ce bon régime. »
Au dix-septième jour de mer, le retard sur Orange II est de 338 milles (719 km).

©Groupama Team ©Groupama Team

Le vent que cherchaient les dix équipiers depuis leur entrée dans l’océan Indien touche Groupama 3 trois jours plus tard, au sud des îles Crozet. Le speedomètre affiche des pointes à 35, et 30 nœuds de vitesse moyenne. La trajectoire est enfin droite, le long du 45°Sud, vers la Tasmanie, avec un vent de secteur ouest à nord-ouest d’une vingtaine de nœuds.
Le trimaran franchit bientôt la longitude du cap Leeuwin, réalisant dans la nuit du 22 février son premier meilleur temps de référence lors de cette troisième tentative sur le parcours du Trophée Jules Verne : cap des Aiguilles-cap Leeuwin, en 6 jours 22 heures 34 minutes.
Le challenger d’Orange II n’a plus que quatre heures de retard à rattraper pour revenir à sa hauteur. La mer est organisée, le vent stable et régulier souffle 20 nœuds (37 km/h) du nord-ouest. Les équipiers de Cammas quittent l’océan Indien sous un ciel piqué de milliers d’étoiles. La Croix du Sud est au firmament.

Coude à coude

Le record de la traversée de l’océan Indien est battu le 23 février, en 8 jours, 17 heures et 39 minutes. Groupama 3 prend à nouveau l’avantage sur le temps de référence du Trophée Jules Verne. « Nous suivons notre progression par rapport à Orange II et même si ce n’est pas un concurrent direct, nous regardons sa trace virtuelle, déclare le chef de quart et barreur Frédéric Le Peutrec à la vacation radio du jour, nous savions que sous l’Australie, nous allions récupérer notre retard car Bruno Peyron et son équipage avaient dû effectuer plusieurs empannages avec des phases de ralentissement. Mais ils avaient traversé très rapidement le Pacifique… Ce sera difficile de tenir sa moyenne jusqu’au cap Horn. »

L’avance sur la performance du catamaran de Bruno Peyron est encore mince : 200 milles (370 km) à l’entrée du plus vaste océan du monde. Il faut à présent gagner dans le sud afin de raccourcir la route vers le cap Horn. Car les degrés de latitude défilent plus rapidement au plus près de l’Antarctique, où les méridiens sont de plus en plus proches.

Le 25 février, les dix équipiers sont à mi-parcours. Ils progressent à bonne allure sous les 50 degrés de latitude sud et continuent d’engranger les milles d’avance. Mais, dès le 27 février, un front froid rattrape Groupama 3 qui doit empanner deux fois en faisant route vers le cap mythique.

©Groupama Team ©Groupama Team

Par 55°Sud, à l’approche du Horn, la mer se durcit, le froid se fait plus vif. Les conditions se dégradent d’heure en heure. Dans une houle chaotique et des grains violents, le trimaran file vers le nord-nord-est – un détour indispensable quoique coûteux en milles et en temps – pour esquiver une perturbation déboulant à 45 nœuds sur sa trajectoire. Et pour éviter un champ de glace. Au vingt-huitième jour de navigation, des vents à 80 nœuds (145km/h) s’engouffrent dans détroit de Drake, entre pointe sud-américaine et continent antarctique. Puis le vent s’écroule et tourne au nord, trois jours plus tard, alors que Groupama 3 est en vue des côtes chiliennes.
En doublant enfin le cap Horn le jeudi 4 mars, à 18h30 (GMT), Groupama 3 concède 59 minutes à Orange II sur son record de la traversée du Pacifique, en 8 jours, 18 heures et 8 minutes. Pour autant, le trimaran conserve 175 milles (324 km) d’avance sur la performance du catamaran géant. La course reste serrée.

©Groupama Team ©Groupama Team

Laborieux Atlantique

Tandis que Franck Cammas voyait pour la première fois le caillou, Thomas Coville fêtait son 7ème passage du cap Horn. « Même pour les plus blasés, c’est toujours un très bon et très grand moment, confie le barreur via radio, le 6 mars, avant tout une transition importante, c’est un point de mire d’autant que cette fois il s’est fait attendre longtemps ! Maintenant on rentre dans une autre logique du parcours qui devient un contre la montre pour aller jusqu’au bout du projet de battre le record. » Coville, comme les autres équipiers de Groupama 3, croit toujours au Trophée Jules Verne, malgré la promesse d’une remontée de l’Atlantique laborieuse.

Groupama 3, entré au près rapide dans l’Atlantique quand Orange II bénéficiait de vents portants, a tracé sa courbe très à l’est, rallongeant ainsi la route du retour. Dès le trente-cinquième jour de mer, l’avantage sur le catamaran de Bruno Peyron est perdu. La météo se dégrade. Groupama 3 doit sans cesse adapter sa trajectoire et son allure à des conditions brutales et changeantes : bulles anticycloniques et vent dans le nez au large de l’Uruguay ; orages alternant calmes et violentes rafales au large du Brésil. Les équipiers de Cammas redoutent la casse. « On ne s’attendait pas à ce que cette phase de vents forts soit si longue ! Le mauvais temps avec 35-37 nœuds (64-68 km/h) ne devait durer que de 4 heures à 10 heures mardi. En fait, il a duré quatre heures de plus en montant jusqu’à 42 nœuds (78 km/h) et une mer forte », raconte Loïc Le Mignon le 10 mars.

Pour rejoindre l’équateur aussi vite que possible, Groupama 3 doit éviter de se rapprocher des côtes du Brésil, sous peine de tomber dans une zone de calmes, et se garder de gagner trop au large, où un vent de nord-est compromettrait sa progression.
Lorsque le plus grand parallèle de la Terre est franchit le 14 mars, après 41 jours 21 heures et 9 minutes de mer, le retard de Groupama 3 sur Orange II est de 405 milles (750 km), soit un peu plus d’une journée. La distance est presque décourageante, mais les dix équipiers espèrent la voir fondre dans les alizés de l’hémisphère nord.

©Groupama Team

©Groupama Team ©Groupama Team

Sprint Final

Passé l’équateur, il ne reste que 8 jours et 19 heures aux hommes de Groupama 3 pour arriver à Ouessant dans les temps. Bruno Peyron avait mis 9 jours 11 heures et 15 minutes pour finir cette dernière étape, en 2005.
« Heureusement, Groupama 3 est à l’aise dans le petit temps », se rassurait Franck Cammas, le 14 mars. Heureusement pour le skipper, sa chance tourne en même temps que le vent. Le trimaran parvient à accrocher rapidement des alizés soutenus au large du Cap-Vert. Le 16 mars, Groupama 3 double à nouveau son concurrent virtuel. Les dix équipiers ont en ligne de mire le prochain obstacle : l’anticyclone des Açores et sa barrière de vents faibles. Sylvain Mondon, le routeur à terre, annonce aussi une série de fronts dépressionnaires dont il faudra tirer tout le potentiel pour foncer vers Ouessant.

Dès le 17 mars, dans un flux perturbé de secteur sud-ouest, Franck Cammas et ses neuf équipiers se positionnent en avant d’un front froid. « On a accroché le système qui va jusqu’en Bretagne. Si nous n’avons pas d’ennuis techniques, nous n’avons plus à avoir de crainte météorologique. On est dans le dernier train de vent qui va jusqu’à l’arrivée », annonce Fred Le Peutrec lors de la vacation radio quotidienne.
Mais le final ne se fera pas sur des rails. Franck Cammas et Stan Honney, le navigateur du bord, prévoient une série d’empannages pour ramener le bateau au sud de la dépression, afin de lui épargner trop de chahut. À 1500 milles (2778 km) d’Ouessant, le vent se fait plus instable bascule du sud-ouest au nord ouest. Les équipiers multiplient les manœuvres. Le bateau, fatigué par son tour du monde à toute vitesse, saute sur les vagues. Il faut encore accélérer malgré le risque de casse, car une dorsale anticyclonique se dessine dans le sillage du trimaran.

C’est en pleine nuit, le 20 mars, que Franck Cammas et ses neufs équipiers franchissent la ligne d’arrivée du Trophée Jules Verne, sous les éclats du Créac’h, le monumental phare d’Ouessant. Ils viennent de boucler leur tour du monde par les trois caps en 48 jours, 7 heures, 44 minutes et 52 secondes et de battre le record de vitesse autour du monde. Passés sous la barre symbolique des 50 jours, ils s’offrent en bonus un record absolu sur la dernière partie du parcours : l’Atlantique nord, avalé en 6 jours, 10 heures et 35 minutes.

Battu de 2 jours, 8 heures et 35 minutes Bruno Peyron, skipper d’Orange II en 2005, félicite ses heureux challengers au complet – équipiers, équipe à terre, technique et météo, architectes, sponsor : « Tous méritent ce succès construit avec méthode. Ils écrivent ainsi, ensemble, une nouvelle belle page de l’histoire du « Trophée Jules Verne ». Je suis fier d’avoir été battu par la meilleure équipe de multicoque océanique actuelle et j’ai hâte de relancer notre équipe pour la « reconquête ». »

Arrivée à Brest de Groupama 3. ©Yvan Zedda / Groupama Team

Arrivée à Brest de Groupama 3. ©Yvan Zedda / Groupama Team Arrivée à Brest de Groupama 3. ©Yvan Zedda / Groupama Team

INFOS
Trophée
48
Jours
7h | 44min | 52s
2010
Départ
2010-01-31 13:55 GMT
Arrivée
2010-03-20 21:40 GMT
Distance
28523 NM
Vitesse moyenne
24.59 Kn
Skipper
Bateau
Radio
Date
2010-02-02
Heure
14H00
Latitude
33°20 N
Longitude
18°24 W
Cap
207
Vitesse
24
Récidiviste
+

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Radio
Date
2010-02-14
Heure
14H00
Latitude
41°02 S
Longitude
10°27 E
Vitesse
31
Spirale
+

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Radio
Date
2010-02-25
Latitude
52°16 S
Longitude
174°16 E
Vitesse
29
L’île du bout du monde
+

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Radio
Date
2010-02-28
Heure
14H00
Latitude
52°23 S
Longitude
130°30 W
Vitesse
23
Bien trempés
+

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Radio
Date
2010-03-06
Latitude
48°26 S
Longitude
43°44 W
Vitesse
23
Entre l’air et l’eau
+

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Radio
Date
2010-03-14
Heure
14H00
Latitude
00°43 N
Longitude
32°46 W
Vitesse
18
Attraper le train
+

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Radio
Date
2010-03-20
Latitude
44°19 N
Longitude
16°54 W
Cap
58
Vitesse
22
… Quand on arrivera
+

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