Bruno Peyron / Orange II

Courses Logs

Le pionnier du Trophée Jules Verne rétablit son autorité sur le circuit par les trois caps. Avec un bateau réglé au millimètre, un équipage dévoué et une météo alliée, Bruno Peyron s’offre une volte virtuose. Le skipper baulois bat le record de vitesse autour du monde pour la troisième fois de sa carrière et remporte le Trophée haut la main.

Le 24 janvier, à 11 heures, 3 minutes et 7 secondes heure locale, le maxi catamaran Orange II franchit la ligne de départ, un trait imaginaire tendu entre Ouessant et le Cap Lizard. 2005 marque le centenaire de la mort de Jules Verne. Bruno Peyron honore la mémoire du père de Phileas Fogg en relevant une fois de plus le défi du tour du monde en moins de 80 jours.
Cette fois, l’enjeu est double. Il s’agit de reprendre le Trophée Jules Verne à Olivier de Kersauson, l’éternel rival, mais aussi, pour Peyron, de battre le record absolu de vitesse autour du monde détenu par le milliardaire aventurier Steve Fossett.

Les deux adversaires virtuels d'Orange II : Cheyenne et Geronimo... ©Photo Jean-Baptiste EpronEncouragements au départ du défi. Les deux adversaires virtuels d’Orange II sont Cheyenne et Geronimo… ©Photo Jean-Baptiste Epron

Polémique

En 2002, une polémique avait eu lieu entre les « légalistes » – fondateurs du Trophée Jules Verne au premier rang desquels Florence Arthaud et Titouan Lamazou – et les supporters de Fosset. Avant sa tentative, ce dernier avait refusé de s’acquitter des frais d’inscription inhérents au règlement du Trophée et de se soumettre à l’interdiction d’assistance extérieure, propre à ce même règlement.
Fossett, non inscrit, avait finalement bouclé brillamment son tour du monde, sur le parcours édicté par les règles du Trophée et sans aide extérieure, en 58 jours, 9 heures et 32 minutes à bord de son catamaran Cheyenne. À l’issue de ce tour du monde victorieux, le skipper américain avait bien manifesté le désir de payer son inscription et de voir son record gravé sur la plaque du mythique Trophée. L’association Tour du monde en 80 jours, garante des règles de la course salua sa performance mais refusa de l’inscrire au palmarès du Trophée. C’est Olivier de Kersauson, parti plus tard dans la saison à bord du trimaran Geronimo, qui avait hérité du titre et ajouté pour la seconde fois son nom à la liste des skippers victorieux du Trophée Jules Verne.
Bruno Peyron, en sa qualité de double détenteur du record, en 1993 puis en 2002, avait réagi en faveur de Steve Fossett : « Je déplore que ce nouveau temps de référence ne se soit pas exprimé dans le cadre du Trophée Jules Verne. Il est dommage que les individualismes et les intérêts personnels des uns et des autres nous amènent à des situations qui nuisent à l’intérêt général. »
À sa manière, près de trois ans plus tard, le skipper baulois s’apprête à redonner tout son brillant au défi qu’il pense terni.

14 + II.

© Photo Jacques Vapillon © Photo Jacques Vapillon

« Orange II est le bateau a priori le plus rapide du monde, affirme Bruno Peyron avant de larguer les amarres, il a montré son haut potentiel cet été avec le record des 24h et celui de la Méditerranée. À nous de montrer qu’il est aujourd’hui le plus rapide autour du monde. »
Orange II est une bête de concours, conçu pour la vitesse au long cours : 36,80 mètre de long, 18 mètres de large, des coques hautes et effilées propres à fendre la vague, et un mât-aile de 45 mètres pour 1100m2 de voilure au portant.
« Orange II présente la synthèse de tout ce que nous avons appris sur les grands bateaux de course depuis dix ans, résume Gilles Ollier, l’un des concepteurs du catamaran(1)(1)Orange II a été conçu par Gilles Ollier et construit au chantier Multiplast de Vannes., les connaissances acquises nous permettraient de construire la coque d’un bateau de 60 mètres, deux fois plus long que celui-là, mais l’équipement doit suivre et l’équipage rester maître de la machine. » La grand-voile d’Orange II pèse 600 kilos, l’effort sur l’écoute de grand-voile est de 22 tonnes. Bruno Peyron sait son bateau très grand, très lourd et très toilé. « Il faut toujours garder une lucidité totale par rapport au potentiel de puissance que nous avons entre les mains », estime-t-il.

Pour son tour du monde à grande vitesse, Peyron peut compter sur 13 équipiers(2)(2)Les équipiers d’Orange II : Bruno Peyron (skipper), Roger Nilson (navigateur, médecin), Lionel Lemonchois (chef de quart-barreur), Philippe Péché (chef de quart-barreur), Yann Elies (chef de quart-barreur), Ronan Le Goff (N°1, responsable accastillage et gréement), Sébastien Audigane (barreur, responsable sécurité), Jacques Caraes (régleur, responsable vidéo), Florent Chastel (N°1, responsable gréement courant), Yves Le Blévec (régleur, responsable organisation générale), Jean-Baptiste Epron (régleur, responsable avitaillement et logistique), Nicolas de Castro (N°1, responsable composite), Ludovic Aglaor (barreur), et Bernard Stamm (barreur, responsable mécanique). aguerris, régatiers et cap horniers, dont certains sont familiers de l’épreuve et du bateau. Si descendre sous la barre des 60 jours reste hypothétique, l’équipage sait qu’il ne dispose de vivres que pour 58 jours. « C’est psychologiquement assez bon de se dire qu’on aura plus à bouffer au delà de 58 jours », commente le skipper.

Tableau de chasse

Le temps de passage à l’équateur le plus court, en 6 jours 11 heures et 26 minutes depuis Ouessant, sera le seul record laissé à Olivier de Kersauson. Passée cette première marque géographique du parcours, les quatorze équipiers d’Orange II dominent les chronomètres de Geronimo et Cheyenne.
Le 5 février, au treizième jour de navigation, l’anticyclone de Sainte Hélène est déjà derrière eux. « Ce matin, les portes du Sud, celles du grand large, se sont ouvertes avec leur cortège d’oiseaux immenses, claironne Jean-Baptiste Epron, le reporter du bord, les couleurs ont viré au gris, le soleil va maintenant nous bouder un certain temps. Du grand et fier solent nous sommes passés au petit gennaker, dit « string » ! »

Bruno Peyron atteint la longitude du cap de Bonne Espérance (20° Est) à 18h22 (GMT) le 7 février, en signant deux nouveaux temps de référence : Ouessant- Cap de Bonne Espérance en 14 jours, 5 heures et 21 minutes(3)(3)2 jours, 6 heures et 16 minutes de moins qu’Olivier de Kersauson en 2003. et Équateur – Cap de Bonne Espérance en 7 jours, 2 heures et 22 minutes(4)(4)2 jours, 11 heures et 5 minutes de moins que Steve Fossett en 2004.. Orange II compte alors quatre jours d’avance sur les deux records à battre.

Le premier iceberg, cinquante mètres de long pour dix mètres de haut estimés, est aperçu à six milles (11 km) du bord le 8 février. À la barre, Bernard Stamm loffe à temps pour éviter à vingt mètres près un glaçon échappé du cortège de growlers roulant dans le sillage des icebergs. Une veille depuis le flotteur sous le vent est ajoutée à la veille au radar. On redouble de prudence à bord du catamaran. Et, comme si les éléments voulaient épargner trop de vitesse au catamaran en terrain miné, le vent faiblit. Sous l’œil curieux des albatros, le répit de courte durée est mis à profit pour inspecter un gréement promis à rude épreuve dans ce Grand Sud où progresse Orange II.

©Photo Jean-Baptiste Epron

©Photo Jean-Baptiste Epron ©Photo Jean-Baptiste Epron

Reprise dès le 12 février. Sous petit gennaker, trinquette et grand-voile à un ris, Orange II fonce. Le catamaran passe la longitude du cap Leeuwin (115°08 E) à 23h58 (GMT), soit après 21 jours, 13 heures et 54 minutes de mer depuis Ouessant, à la moyenne de 22,8 nœuds. L’océan Indien vient d’être avalé en 7 jours, 8 heures et 33 minutes.
Bruno Peyron doit alors ralentir la cadence dans une mer formée et des creux de six à huit mètres pour se laisser devancer par un front violent prévoyant un vent moyen de 40 à 45 nœuds (83 km/h).

Le 19 février, après 25 jours, 21 heures et 33 minutes depuis Ouessant, le Baulois et ses hommes d’équipage doublent l’antiméridien(5)(5)Le 180ème méridien, à l’opposé du méridien de Greenwich., établissant un nouveau temps de référence. L’avance de quatre jours sur le record absolu de Cheyenne est maintenue. La vitesse moyenne d’Orange II depuis le départ est portée à 23.2 nœuds.

Les quatorze équipiers doublent le cap Horn par une nuit opaque, le 26 février, à 23 h 32 (GMT), et pulvérisent au passage tous les temps intermédiaires : Ouessant – Cap Horn en 32 jours 13 heures et 29 minutes ; Tasmanie – Cap Horn en 8 jours, 18 heures et 6 minutes ; Cap de Bonne Espérance – Cap Horn en 18 jours, 8 heures et 8 minutes ; Cap Leeuwin – Cap Horn en 10 jours, 23 heures et 35 minutes.

Peyron devance alors Fossett de 7 jours, 2 heures et 47 minutes.

Punition

©Photo Jean-Baptiste Epron ©Photo Jean-Baptiste Epron

« Super accueil », ironise Jean-Baptise Epron, à l’entrée dans l’Atlantique. Sous des grains à 50 nœuds (92 km/h), on prend des ris, enroule le gennaker pour enfin tout affaler. Orange II connaît là le maximum de vent qu’il aura à déplorer sur un tour où les systèmes météo semblent s’enchaîner pour paver la voie au maxi-catamaran.
Quand, par 40 nœuds de vent, Orange II passe à quelques centaines de mètres des cailloux des Malouines et des cargos au mouillage, le ciel est dégagé, la mer est plate.

Le 5 mars, via radio, Bruno Peyron se révèle pourtant méfiant : « Depuis trois jours, chaque fois que j’ouvre un fichier météo, je préfère le refermer en essayant de me convaincre que tout cela a le temps de changer et qu’il n’y a pas de raison de se stresser pour rien. Mais à chaque nouveau fichier, c’est pire… Tenons nous donc demain prêts à payer notre insolence d’hier… » Orange II est empêtré dans une zone de calme. La pétole use les nerfs. Leurs réserves de cigarettes épuisées, les fumeurs du bord se font irritables. « Pour l’équipage, après avoir passé une quarantaine jours à 25 nœuds, se traîner à trois nœuds avec des pointes à six, c’est difficile à supporter », résume Epron. Pour occuper le temps mort et en prévision de l’Atlantique nord, on opère une vérification générale de la carène et du gréement. La fatigue d’un tour du monde aux deux tiers achevé est palpable.

©Photo Jean-Baptiste Epron

©Photo Jean-Baptiste Epron ©Photo Jean-Baptiste Epron

Dès le 6 mars, l’équateur est franchit au portant. Le passage au nord voit le retour de la pluie, du ciel gris et du près. Orange aura mis 40 jours, 19 heures et 9 minutes depuis Ouessant pour couper la latitude 0°. Deux nouvelles performances sont à signaler : Cap Horn-Équateur en 8 jours, 5 heures et 36 minutes et Équateur-Équateur, en passant par les trois caps (Bonne-Espérance, Leeuwin et Horn), en 33 jours, 16 heures et 9 minutes. De quoi rasséréner le skipper.

Mais Peyron, qui devance pourtant Fossett de 9 jours et 8 heures, craint toujours le revers de météo qui viendrait compromettre son confortable exploit. « En clair, j’ai l’impression que l’on doit se préparer à une véritable punition pour cette dernière partie de parcours, confie-t-il via radio, peut-être pour nous faire payer cette presque trop parfaite trajectoire depuis le début, ces enchaînements de rêve, ces milles avalés à 30 nœuds et ces dix jours d’avance presque irréels aux trois quarts du voyage. »(6)(6)Transcriptions de vacation radio, statistiques et récit de course détaillé sur www.fralo.info

Terminus, tout le monde Ouessant !

© Photo Jacques Vapillon © Photo Jacques Vapillon

L’anticyclone des Açores dresse un barrage difficile à contourner, mais à maxi catamaran rien d’impossible. Orange II retrouve le vent dès le 12 mars, qui le déposera en gare d’Ouessant dans la nuit du 15 au 16 mars au terme de 50 jours, 16 heures et 20 minutes de mer. Orange a maintenu près d’une semaine d’avance sur le milliardaire aventurier, et 12 jours, 21 heures, 39 minutes sur le précédent détenteur du Jules Verne. Le record de Fossett est mis en archives, Kersauson est détrôné.

Le skipper breton salue publiquement la performance de son concurrent et partage sa fierté : « La barre des cinquante jours est maintenant toute proche. Aucun autre sport mécanique ne peut s’enorgueillir d’une telle progression, chaque génération de bateaux repoussant les limites encore plus loin. De ce Trophée Jules Verne, qui reste la référence absolue de l’engagement humain et technique, Bruno Peyron vient d’écrire, pour la troisième fois, un chapitre magnifique. »

En 2005 comme en 1993, l’exploit est inattendu, le record plus spectaculaire encore. Pourtant, pour le marin au long cours, l’essentiel ne se résume pas à la gloire. « Ceux qui, comme nous, ont le privilège de voyager loin et longtemps sont partagés à l’approche de la fin, confiait Bruno Peyron la veille de sa victoire, il y a bien sûr l’envie d’arriver, de clore l’histoire en beauté, de retrouver ses proches et tous ceux que l’on aime. Mais en même temps, nous prenons conscience que nous allons nous séparer et le groupe magique que nous formons va s’éparpiller…»

INFOS
Trophée
50
Jours
16h | 20min | 4s
2005
Départ
2005-01-24 10:03 GMT
Arrivée
2005-03-16 02:23 GMT
Distance
26993 NM
Vitesse moyenne
22.2 Kn
Skipper
Bateau
Carnet
Photo
Date
2005-01-31
Heure
10H04
Latitude
00°40 N
Longitude
25°84 W
Vitesse
21
Cargo au parking
+

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Carnet
Photo
Date
2005-02-06
Heure
10H08
Latitude
42°08 S
Longitude
01°36 E
Vitesse
28
Petite surprise
+

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Carnet
Photo
Date
2005-02-09
Heure
10H00
Latitude
48°08 S
Longitude
40°40 E
Vitesse
20
Scrute mon petit !
+

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Carnet
Photo
Date
2005-02-28
Heure
10H02
Latitude
39°92 S
Longitude
47°28 W
Vitesse
22
Les dégâts
+

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Carnet
Photo
Date
2005-03-04
Heure
10H00
Latitude
14°.00 S
Longitude
34°72 W
Vitesse
7
Pétole
+

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Carnet
Photo
Date
2005-03-06
Heure
10H10
Latitude
1°24 N
Longitude
32°32 W
Vitesse
21
Hémisphère nord
+

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Carnet
Photo
Date
2005-03-09
Heure
10H00
Latitude
16°80 N
Longitude
38°12 W
Vitesse
6
Une belle nuit…
+

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